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des calomnies qu’elle ne sait pas mépriser, George Sand va remuer les cendres de ce passé. Cette fois c’est un livre d’aigreur, témoignage de cette cruauté de la femme qui, n’aimant plus, ne se souvient pas d’avoir aimé. Mais elle se souvient de ses propres souffrances : la Thérèse d’Elle et Lui reproche à Laurent ses violences, ses impertinences, ses débauches et jusqu’aux embarras d’argent qu’elle a subis pour lui. Livre cruel dont les plus belles pages sont celles qui retracent la nuit atroce de la forêt de Fontainebleau. Triste livre où la femme vieillie ne craint pas de nous présenter salie par le vin, par le sang et par la boue l’image de celui qui jusqu’à la mort n’a cessé de l’aimer. — Quoi qu’il en soit du reste, et pour des raisons différentes mais qui aboutissent à un résultat analogue, les deux livres ont un même défaut : il y manque un personnage et qui, à vrai dire, est essentiel : c’est George Sand. Ni Brigitte, ni Thérèse ne lui ressemblent que par l’humeur prêcheuse et la manie de maternité. La figure adoucie et affadie cesse d’être vivante. C’est un duo où nous ne percevons qu’une voix, un dialogue où nous n’entendons pas les répliques. Que dire de l’honnête Smith ou du flegmatique Palmer ? On touche du doigt la convention. On devine que les auteurs sont de parti pris, qu’ils ont voulu présenter les faits sous un certain jour, mais surtout qu’ils se sont tenus trop près des faits, au lieu de les recréer librement par une conception d’art. Ils les ont arrangés, ce qui n’est pas la même chose que de les transformer. Il est arrivé ce qui arrive toutes les fois qu’un livre est trop voisin de la réalité : il lui reste inférieur. Il est clair que le livre où seront réunies les lettres de Musset à celles de George Sand fera singulièrement pâlir, s’il ne rejette tout à fait dans l’oubli Elle et Lui et la Confession.

Ce qui est plus curieux et d’une portée d’enseignement qui va beaucoup plus loin, c’est de voir, dans ce consciencieux effort de deux écrivains pour réaliser les chimères les plus folles, à quel point ils ont pu être dupes de la littérature de leur temps, et dupes de leur propre littérature. Au moment où ils se rencontrent, George Sand vient d’achever Lélia, Musset les Caprices de Marianne ; il termine Rolla, et il écrira bientôt Lorenzaccio. Octave des Caprices est Musset lui-même, et c’est un débauché. Rolla en est un autre. Lorenzaccio est une étude des ravages de la débauche. Il est convenu que Musset les a suivis dans son propre cœur, et qu’il est dès cette époque prisonnier du monstre. George Sand et Musset tous les premiers le déclarent à l’envi et à satiété. On l’a répété après eux. C’est se payer de mots. N’oublions pas quel est l’âge du poète : il a vingt-deux ans, c’est un