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n’est plus efficace que des lois rigoureuses avec leur sanction. L’adoucissement exagéré et prématuré des lois pénales, ainsi que l’indulgence croissante du jury, diminuent nécessairement chez le peuple entier le sentiment de la gravité du crime. Il en résulte un encouragement aux crimes occasionnels et passionnels. En Angleterre, la répression ne s’est jamais relâchée ; on n’a jamais oublié le mot de Shakspeare : « la clémence tue quand elle pardonne aux tueurs » ; on n’a presque jamais excusé ou acquitté les meurtriers, ce qui fait que le meurtre est devenu bien plus rare. Tout récemment, on pendait à Londres un jeune homme pour avoir tué par jalousie sa fiancée. En France, il eût été sans doute acquitté. Résultat : le jaloux anglais y regarde à deux fois avant de tuer une femme, parce qu’il sait qu’en la frappant, il se frappe ; le jaloux français se dit : On m’acquittera ; et de plus on parlera de moi ! La mollesse de nos jurys les rend dignes, dans bien des cas, du mot que le duc de Montausier aurait prononcé, à propos d’un criminel gracié qui avait ensuite accompli plusieurs homicides : « Cet homme n’a commis qu’un assassinat, le premier, et c’est vous, sire, qui, en le graciant, avez commis les autres. » C’est précisément sur les crimes passionnels que la perspective de la peine peut avoir le plus d’influence, et c’est là que la profonde ignorance d’un jury mal composé, d’où la loi élimine presque tous les élémens d’ordre et de capacité, le fait agir au rebours de l’intérêt social. En Angleterre, des livrets sur les devoirs des jurys, sur les causes et les remèdes du crime, sur ses progrès ou ses diminutions, sur les points qui exigent particulièrement la sévérité, etc., sont mis préalablement aux mains des jurés ; il y a là un exemple à suivre. Mais une réforme profonde du jury, de sa composition et de ses attributions serait nécessaire.

C’est aussi sur les récidivistes, plaie de notre temps, que la rigueur des peines, la sévérité des juges et des jurés, enfin la réforme du régime pénitentiaire pourraient avoir une grande action. En France, il y a ce qu’on a appelé l’oasis de la criminalité, c’est-à-dire une période où la statistique relève un abaissement continu de la courbe des crimes et des délits à la fois ; c’est depuis 1853 jusqu’à 1805. M. Tarde se demande quelle peut en être la cause, et il pense que c’est le raffermissement momentané de l’ordre intérieur, « de l’ordre même despotique », et spécialement « le retour à la sévérité de la répression. » M. Tarde