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veut fuir ; « nous sommes exploités ! » s’écrie le misérable qui veut tuer ou voler. Un sentiment que les étrangers nous reprochent de ne pas avoir naturellement, de ne pas cultiver par nos mœurs, de ne pas sauvegarder par nos lois, c’est le respect. En Angleterre, la presse se respecte et respecte les autres. Cette supériorité tient d’abord aux mœurs : l’Anglais ne veut pas être trompé ni corrompu par son journal, mais éclairé et « informé » ; les articles, non signés, sont écrits avec plus de désintéressement ; mais la loi renforce les mœurs en punissant la diffamation et l’obscénité de peines et d’amendes si considérables que le journal peut être ruiné du coup. Mettre l’intérêt même du bon côté, tout est là ; en France il est du mauvais côté.

Combien de journaux ne réussissent que par le scandale ou la diffamation ! « Calomniez toujours, répétait Philippe de Macédoine, si la blessure guérit, la cicatrice reste. » L’action de nos lois sur le diffamateur est dérisoire ; si, par extraordinaire, le tribunal de faveur auquel le journaliste sera soumis lui inflige quelque amende, il gagnera au centuple par le scandale ce qu’il aura perdu par la condamnation. « Avec une bouteille d’encre et une main de papier, disait l’Arétin, je tire de la sottise d’autrui 2 000 écus de rente. » Devant les excitations journalières au vice, qui sont des complicités anticipées, comme aussi devant les diffamations érigées en industrie lucrative, il n’est pas permis de lever simplement les épaules et de sourire avec mépris. Comme le remarque M. Max Nordau, tandis que les indifférens se consolent par l’idée « qu’aucune personne raisonnable ne prend de telles sottises au sérieux », la folie et le crime font leur œuvre et empoisonnent toute une génération. Ce ne sont pas les gens « raisonnables » dont il faut s’inquiéter ; ce sont précisément les déraisonnables ; et ceux-là sont légion, et c’est à eux que s’adressent les mille voix de la passion déchaînée. Croyez-vous indifférent pour un peuple, surtout pour la jeunesse d’un peuple, de prendre ses inspirations auprès des « anti-sociaux » ?

Permettre de tout dire et de tout écrire, contre les lois, contre les mœurs, contre les hommes, en ne se réservant de punir que les « actes » une fois accomplis, c’est, a-t-on dit, attendre l’explosion d’une mine après l’avoir laissé charger et allumer sous ses yeux. A notre époque de criminalité croissante, les idées sont trop explosives pour que l’on ne considère pas déjà comme des actes celles qui sont une provocation à des crimes et délits. Tel