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La lutte « anticléricale » a pu avoir ses motifs dans l’état d’esprit de notre clergé à une certaine époque ; les libres penseurs d’une part et les protestans de l’autre ont cru alors qu’ils gagneraient tout ce que perdrait le catholicisme du Syllabus ; mais ni la philosophie ni le protestantisme n’ont profité des destructions de croyances. Le scepticisme moral a été, chez les enfans et jeunes gens, l’ordinaire résultat du scepticisme religieux. Ici encore on a trop songé à l’instruction intellectuelle et on n’a pas cherché des fondemens sociaux à l’éducation morale au moment même où on émancipait et libéralisait les esprits.

Est-ce à dire qu’on doive le moins du monde remettre « les lumières » sous le boisseau ? Nullement ; mais si, sans se faire l’esclave d’aucun dogme, chaque penseur doit librement chercher la vérité et librement l’exprimer avec une sincérité absolue, au moins est-il sage que, pendant ce temps-là, les politiciens ne transforment pas le progrès pacifique des idées en une lutte de partis, et ne déclarent pas une guerre acharnée à des convictions qui demeurent un des principaux soutiens de la moralité publique. Descartes, voulant douter de tout et reconstruire l’édifice entier de la science (quelle entreprise ! ) avait eu soin de se faire d’abord une « morale de provision », qu’il comparait à un abri provisoire ; pensez-vous qu’un abri de ce genre soit inutile à un peuple ? Avez-vous la prétention, par un nouveau credo, de remplacer du jour au lendemain les anciennes croyances ? N’aurez-vous rien à craindre de ceux à qui vous aurez « enlevé le ciel sans leur donner la terre » ? L’intolérance antireligieuse est aussi funeste pour une nation que l’intolérance religieuse. Notre grand mal est la division : une partie de nos forces vives est employée à lutter contre des forces adverses, et le résultat est de diminuer la marche en avant. Pourquoi donc ne pas chercher ce qui rapproche au lieu de poursuivre toujours ce qui sépare ? Philosophie et religion ont un terrain commun, dont font partie les vérités essentielles de toute morale. Dès lors l’accord est possible, il est réel sur les points fondamentaux, et c’est la conciliation, non la lutte, que l’Etat doit poursuivre dans l’enseignement.

Dans un pays aussi divisé de croyances et aussi troublé que le nôtre par les partis les plus contraires, l’éducation est devenue et ne pouvait pas ne point devenir essentiellement laïque ; mais, quand l’Etat rend ses écoles indépendantes de toute confession particulière, il assume par cela même le devoir de fournir aux