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caractéristiques, un des traits douloureux de notre temps. Selon M. Adolphe Guillot, on remarque dans les actes des jeunes accusés « une exagération de férocité, une recherche de lubricité, une forfanterie de vice qui ne se rencontrent pas au même degré à un âge plus avancé. » La prostitution enfantine va aussi croissant et on a estimé à 40 000 en dix ans le nombre des enfans atteints. En 1830, on constatait 5 suicides par 100 000 habitans ; en 1892, il y en avait 24 ; les suicides des enfans au-dessous de seize ans, extrêmement rares jadis, atteignaient déjà en 1887 le nombre de 55. Dans cette même année, nous avons eu 375 suicides de jeunes gens âgés de seize à vingt et un ans ; les suicides d’enfans âgés de moins de seize ans ont été de 87.

Tels sont les faits. Pour en mesurer la portée, nous devons chercher si l’accroissement de la criminalité en France à tous les âges trouve une explication normale dans le développement de la civilisation, ou s’il présente un caractère anormal et morbide.


II

Tandis que moralistes et juristes déplorent le nombre croissant des délits, quelques sociologues, comme M. Durkheim[1], y cherchent un symptôme de progrès social. C’est là, à notre avis, confondre deux sortes d’augmentations de la criminalité : celle qui tient à ce que la conscience publique, devenant plus délicate, considère comme délit ce qui semblait jadis indifférent ou même méritoire ; et celle qui tient à ce que des actes universellement et immuablement criminels sont de plus en plus nombreux ; dans le premier cas, il y a progrès réel, dans le second, décadence. Conçoit-on un ordre social où l’assassinat et le vol à main armée soient admissibles ? Est-ce par pure délicatesse croissante de la conscience publique qu’on punit aujourd’hui les meurtriers ? Si ce genre de crimes, universellement réputés tels, va augmentant, par quelle subtilité pourra-t-on y trouver un fait normal et, peut-être, un progrès ?

Un sociologue italien, M. Poletti, a voulu soutenir aussi que, la somme du travail honnête augmentant avec la civilisation, celle du travail malhonnête doit parallèlement augmenter. Mais on ne voit pas pourquoi le second serait toujours lié au premier.

  1. Voir ses beaux ouvrages sur la Division du travail social et sur la Méthode sociologique ; Paris, Alcan, 1895.