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La Vie pour le Tsar, que l’on compte comme une des premières en date et en valeur parmi les productions du génie musical russe, figure à double titre au spectacle de gala ; cependant on ne donnera que le premier acte et l’épilogue de cet opéra ; après quoi, pour faire une fois de plus sa part à l’Occident, un ballet de marque française, le ballet la Perle, clora la soirée.

Le dualisme des deux arts se reconnaît jusque dans les feuillets du programme illustré qu’on nous remet à l’entrée. Les quatre premières pages, tout enluminées, répètent le titre de l’œuvre russe et les noms des acteurs. Les caractères sont ces longues lettres slaves propres aux chevauchemens, aux allongemens, à toutes les variations décoratives ; l’illustration, charmante de grâce et d’archaïsme, ajoute à d’expressives et naïves vignettes de hardis ornemens polychromes, qui tantôt fleurissent librement sur la page et tantôt se plaquent sur des encadremens d’or. Au contraire, des gravures en couleur, commentaires du livret, traduisent en mièvres allégories les tableaux du ballet ; texte et figures s’entourent d’arabesques Louis XV qui pourraient plaire ailleurs, mais qui semblent bien artificielles à côté d’un art plus jeune, plus franc et plus vrai.

On composerait une intéressante collection avec ce qui s’est distribué ces jours-ci de menus, de proclamations, déprogrammes. L’imagerie russe renaissante retourne aux formes décoratives les plus anciennes, les plus incontestablement nationales, celles de la période do-Pétrovienne. Le couronnement d’Alexandre III fut justement l’occasion des premiers essais tentés dans ce sens, car il arrive ici que les événemens politiques marquent avec netteté des époques dans le développement de l’art. C’est alors que Vasnetsof, le grand artiste ému, dessina ses menus et sa proclamation, pages charmantes qui sont des pages d’histoire, fort à propos conservées dans la galerie des Tretiakof. Or plusieurs écoles d’Europe qui, sous des noms différens, professent une même imitation des formes picturales primitives, ne pourraient sans désavantage être comparées à cette école néo-russe ; rien ici ne sépare l’imagier de ses vieux modèles, ni traditions étrangères, ni pratiques nationales ; remontant aux origines sans sortir de son pays, ni de lui-même, il ne risque pas comme d’autres de faillir à cette essentielle obligation, la sincérité.

De même que le dessinateur russe trouve ses motifs dans les décorations des vieilles architectures, dans les miniatures des