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violent prendra le ministère de l’intérieur dans une combinaison extraparlementaire. A l’instant l’épouvante change de camp ; des ministres elle passe aux chefs de la majorité ; ils se voient déjà appréhendés au corps, conduits à Vincennes sous la griffe du terrible Persigny. Ils accourent vers les ministres démissionnaires dont ils ne redoutent aucune violence et les supplient de reprendre leur démission. Puisque la révocation est inévitable, autant vaut qu’elle soit signée par eux. Les ministres consentent. Mais avec quelle précaution ils procèdent. Personne n’est jugé digne de recueillir l’héritage entier : il sera divisé ; l’armée sera donnée au général Baraguey-d’Hilliers, la garde nationale au général Perrot.

Avant la publication du décret, les principaux Burgraves (8 janvier 1851), Molé, Thiers, Berryer, Victor de Broglie, Daru, et avec eux le président de la Chambre, Dupin et Odilon Barrot, sont convoqués à l’Elysée, le Prince leur annonce sa résolution ; ils répondent tous d’une voix : « N’en faites rien ! n’en faites rien ! Le parlement se sentira directement atteint dans son honneur et dans sa sécurité. Votre droit est indiscutable ; usez-en avec modération ; vous allez compromettre deux années de sagesse et de bonne politique. Vous vous exposez à ce que l’Assemblée s’arme du pouvoir que lui donne l’article 32 de la Constitution[1]. — Cela ne m’embarrassera pas, répond le Prince : je donnerai au ministre de la guerre l’ordre de vous accorder toutes les forces que vous réclamerez et j’attendrai tranquillement à l’Elysée qu’il vous plaise de faire cesser cette scène ridicule. — Les assemblées, riposte Thiers piqué, ont aussi leur esprit de conduite. La nôtre saura éviter ce qui ne sera que ridicule. » Et avec l’aplomb qu’il avait recommandé dans la délibération des Burgraves, il ose, sans rire, ajouter : « Vous jugeriez très mal le général Changarnier si vous le supposiez capable de conspirer. Non, le général n’est pas un conspirateur, il vous a servi loyalement et continuera de même. » Le Président sourit : « Pourquoi alors a-t-il annoncé qu’il se chargerait de me conduire à Vincennes ? » Et il coupe court en déclarant que sa résolution est irrévocable, qu’il ne reculera pas, qu’il veut respecter la Constitution, mais par conscience, non par peur ; il n’a convoqué les chefs de la majorité que pour les prier de donner à

  1. Art. 32. « L’Assemblée fixe l’importance des forces militaires établies pour sa sûreté, et elle en dispose. »