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intérimaire, « part de son dévouement plutôt que de son ambition », il rétablirait, non la duchesse d’Orléans, mais la monarchie légitime et vraie[1].

Ce plan, arrêté dans son esprit, il ne ménage plus rien. Il devient fou d’orgueil et d’importance. Chaque dimanche il réunissait à sa table aux Tuileries un certain nombre d’amis, surtout d’officiers, et là il criblait le Président d’épigrammes, blâmait ses actes, ridiculisait sa personne et s’ébaubissait sur ses dettes et ses galanteries ; il l’appelait un « perroquet mélancolique ». Souvent, un peu avant le conseil, il venait causer avec le Président dans sa chambre à coucher pendant que celui-ci dépouillait sa correspondance et déjeunait. Il en sortait lorsque les ministres arrivaient. En se retirant, il échangeait quelques mots avec eux. Un jour qu’il était venu en costume négligé, une badine à la main, il prend à bras-le-corps. J.-B. Dumas, et devant ses collègues stupéfaits, lui dit de sa voix un peu éraillée et criarde : « Que peut-on faire avec un homme qui a ce visage de Diafoirus ? » A tout propos il se vantait d’avoir l’armée dans la main. Devant les officiers généraux et chefs de corps, il dit au général Guillabert : « Votre division est chargée de la garde de la Chambre. Si le ministre de la guerre vous donnait des ordres, vous ne lui obéiriez pas et le f… à la salle de police[2]. »

Il ne prenait pas la peine de dissimuler qu’il guettait l’occasion. Une demande d’argent de l’Elysée parut un instant la lui apporter. Assailli par une infatigable mendicité, le Prince ne savait pas s’en défendre. On avait porté à 1 200 000 francs sous Odilon Barrot sa dotation, d’abord fixée à 600 000. Cela ne lui avait pas suffi. Son intendant lui faisant observer qu’avec un revenu de 100 000 francs par mois, il donnait comme avec une liste civile de 15 millions ; il répondit avec gaieté : « Que voulez-vous ? ce sont mes frais de représentation. » Le ministère déposa un projet de loi élevant à 2400 000 francs les frais de représentation (21 juin). Le moment n’était pas propice. Dans un voyagea Saint-Quentin, Louis-Napoléon venait de dire aux industriels et à leurs ouvriers : « Je suis heureux de me trouver parmi vous, et je recherche avec plaisir les occasions qui me mettent en contact avec ce grand et généreux peuple qui m’a élu ; car, chaque jour me le prouve, mes amis les plus sincères, les plus dévoués ne sont pas

  1. Falloux, Mémoires, t. I, p. 597.
  2. Maréchal de Castellane, Mémoires.