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a toujours eu, dans le secret de son cœur, les préférences de M. Bourgeois. Il est possible que, lorsque M. Doumer n’y sera plus, M. Bourgeois se tempère, nous ne disons pas se modère. Mais cette éventualité n’est pas encore ce qui peut nous aider à comprendre la nomination de M. Doumer faite par le ministère actuel ; nous renonçons à la justifier. Nous ne demandons pas non plus ce que peuvent en penser les électeurs que, depuis six mois, M. Doumer menait à l’assaut du gouvernement dont il est maintenant un des gros fonctionnaires !

C’est aussi un signe des temps que la tendance qu’on a pu déjà constater chez d’autres, et qui vient de se manifester chez un de plus, de se retirer, au moins provisoirement, de la politique, comme s’ils n’y voyaient rien à faire, comme s’ils craignaient de s’y compromettre, comme s’ils attendaient des jours meilleurs ou moins obscurs. Cela dénote un défaut de confiance assez général, qui étonne pourtant chez M. Doumer. Hier encore, nul ne se jetait plus impétueusement que lui dans la mêlée des partis. Nous avons parlé de l’activité extraordinaire qu’il déployait. On le voyait, on l’entendait partout. Il avait l’air de remplir un apostolat, et de s’y être voué corps et âme. Cet impôt sur le revenu, qui a fait tant de bruit, était son invention personnelle, et presque sa chose. Il l’avait tant bien que mal rédigé en texte de loi ; il avait trouvé les formules les plus propres, du moins à son gré, à le faire miroiter aux yeux des foules ; il semblait s’y être attaché avec une conviction qui n’était pas exempte d’âpreté. Et voilà que M. Doumer déserte le champ de bataille. Il laisse à d’autres le soin de poursuivre, ou peut-être d’abandonner son œuvre à peine entamée. Il a obligé la Chambre à voter le principe de l’impôt sur le revenu, et il renonce maintenant à revenir à la charge, pour lui demander de l’établir d’une manière définitive et de l’organiser. Est-ce que sa foi aurait diminué tout d’un coup ? Est-ce que son courage aurait faibli ? Est-ce que tant de mouvement et d’agitation cachait un désenchantement qui déjà commençait ? Est-ce que M. Doumer cherchait à s’étourdir ? Est-ce qu’il cherche maintenant à oublier et à se renouveler ? Ce sont là des questions qu’on ne peut que poser ; lui seul serait à même d’y répondre, et il ne le fera pas ; s’il le faisait, qui sait dans quelle mesure il serait sincère avec lui-même ? Ce qui est sûr, c’est qu’on n’a jamais vu un homme politique aussi profondément engagé dans la lutte, un chef de file, un porte-drapeau, se retourner d’une manière aussi brusque pour se consacrer à une grande entreprise, sans doute, mais tout à fait différente de la première. Et nous ne sommes pas les seuls à en être surpris et scandalisés : les radicaux socialistes le sont encore plus que nous. Quand ils suivaient avec tant de confiance son fier