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des lauriers destinés à ne pas repousser ? A la surprise générale, il a accepté d’être nommé gouverneur général de l’Indo-Chine, à la place du regretté M. Armand Rousseau. Lorsque la nouvelle de la mort de M. Rousseau est arrivée en France, M. Doumer a publié dans un journal un article plein d’éloges pour le défunt, éloges tout à fait mérités, car M. Rousseau a été la victime du dévouement le plus désintéressé ; mais il traçait en même temps le portrait idéal du gouverneur qui convenait, d’après lui, à l’Indo-Chine, et ce portrait ressemblait beaucoup au sien propre très idéalisé. Ceux qui savent lire entre les lignes n’ont pas pu s’y tromper : M. Doumer s’offrait. Il est possible qu’il devienne un bon gouverneur de colonies. Rien ne l’y a particulièrement préparé ; il ne semblait pas devoir y être naturellement appelé ; mais, comme il faut toujours être juste pour ses adversaires, nous reconnaissons volontiers que M. Doumer est un homme d’un esprit souple, flexible, capable de s’adapter à beaucoup de choses différentes, en même temps qu’un travailleur. Il est jeune, et c’est une des qualités qu’il exigeait judicieusement chez le gouverneur de ses rêves. Qu’il ait désiré aller en Indo-Chine, et qu’il se soit cru de taille à soutenir un fardeau sous lequel plusieurs autres ont faibli, et quelques-uns sont morts, nous l’admettons ; non pas, toutefois, sans faire des réserves expresses contre la mauvaise tradition que reprend le gouvernement de se débarrasser des gens qui le gênent en les envoyant au bout du monde. D’abord cela ne réussit pas toujours ; ensuite, il y a là un encouragement et un exemple très démoralisans pour ceux qui restent, mais qui voudraient bien s’en aller, à leur tour, dans un gouvernement lointain et fructueux. Nous ne constatons pas sans quelque humiliation d’esprit que le meilleur moyen d’obtenir la confiance d’un ministère dans la haute administration est de lui faire de l’opposition en politique. Il aurait été naturel que M. Bourgeois, revenant un jour au pouvoir, eût nommé M. Doumer gouverneur général de l’Indo-Chine ; cela s’explique moins de la part de M. Méline. Pour dire toute notre pensée, nous l’aurions compris d’autant mieux de la part de M. Bourgeois que M. Doumer était peut-être devenu pour lui aussi une gêne, un obstacle, un empêchement ; mais cela ne nous aide pas, bien au contraire, à comprendre le choix de M. Méline. Il est certain que M. Doumer, s’il n’était pas le chef reconnu du groupe radical, en était l’homme le plus en vue, le plus agissant, le plus important. En même temps, il poussait son parti aux solutions extrêmes, et il y mettait une ardeur, parfois même une violence, qui rendaient impossible tout retour à cette politique de transaction qui