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et Doumer, ministres d’hier et toujours ministrables, hommes de gouvernement par définition, parcourir la province et se livrer à une propagande effrénée en faveur de leurs systèmes ? Bon grain ou ivraie, tant de germes jetés sur le sol devaient y mûrir un jour, et les socialistes assistaient avec joie à ces semailles, en se tenant prêts pour la moisson.

Il fallait lutter contre cette campagne de discours et de banquets que les chefs du parti radical menaient avec tant d’ardeur, un jour dans le Nord, le lendemain dans le Midi, tantôt à l’Est, tantôt à l’Ouest, inaugurant en cela des mœurs politiques nouvelles, car les ministres renversés avaient autrefois l’habitude de se retirer silencieusement sous leur tente, et d’attendre avec patience qu’on vînt les y chercher. Cette attitude pouvait convenir au bon temps de la concentration républicaine. Avec des ministères homogènes, ayant des programmes opposés, il ne pouvait plus en être ainsi. On a donc vu, soit dans le gouvernement lui-même, soit dans le parti modéré, des orateurs se rendre en province et poursuivre eux aussi une campagne oratoire contre les radicaux socialistes. On a entendu successivement M. Barthou, ministre de l’intérieur, à Oloron ; M. Henri Barboux à Lille et à Tours ; M. Paul Deschanel à Marseille et à Carmaux. Ces orateurs très divers, et dont l’un, M. Barboux, n’appartient pas au monde, ou plutôt au personnel politique et parlementaire, ont tous fait le même discours. Chacun y a mis sa forme particulière, sa tournure d’esprit, quelque chose enfin de sa personnalité et de son originalité propres, mais évidemment ils obéissaient à une même préoccupation, qui était de dénoncer et de combattre le péril socialiste. M. Barthou déclarait qu’aucune conciliation n’était possible avec le nouvel adversaire. MM. Barboux et Deschanel le poursuivaient avec une lumineuse logique dans l’obscur dédale de ses sophismes. M. Barboux n’est pas seulement un des maîtres du barreau de Paris ; il est de plus président de l’Union libérale républicaine, fondée depuis quelques années déjà pour défendre les principes de la république modérée. Il n’a aucune ambition d’entrer dans la vie politique ; il se contente de faire œuvre de bon citoyen en mettant au service de ses idées et de ses amis son éloquence et son activité, qui sont grandes l’une et l’autre. M. Paul Deschanel a commencé à la Chambre même, avec beaucoup d’éclat, la campagne qu’il continue aujourd’hui contre les collectivistes. Il a lu leurs livres, il les connaît admirablement jusque dans leurs plus subtiles contradictions. M. Jaurès s’est flatté quelquefois qu’à force d’étudier les doctrines sociales, un aussi bon esprit que M. Deschanel