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sa ferme. Elle se laisse un peu aller dans ses bras à l’occasion d’une leçon de bicyclette. Le mari survient là-dessus, leur trouve de drôles de figures, interroge Lucienne qui répond sincèrement. Il a le tort de se fâcher et de dire ; « Ça ne m’étonne pas ; il fallait s’y attendre. » Elle songe : « C’est comme ça ? Mon sang me condamne à faire des bêtises ? Eh bien, soit. » Elle retrouve Beaucourt à Paris. Elle lui propose de fuir au bout du monde : il préfère de commodes rencontres dans quelque rez-de-chaussée et ne le lui cache pas (scène souvent faite). La goujaterie du personnage la soulève d’indignation et lui révèle qu’elle est bien définitivement une honnête femme, quoi qu’elle fasse et en (dépit du sang de sa mère. Et, le mari survenant encore, elle tombe dans ses bras.

Le drame est donc quelconque, et surtout au second acte. Je sais bien ce qu’on a dit : Lucienne est victime, — jusqu’à la salutaire réaction du dénouement, — non pas des indéfinissables lois de l’hérédité, mais de l’idée qu’elle s’en fait et qui la hante. Voilà le vrai sujet : le mal que peuvent causer, par intimidation et suggestion, de mensongères théories « scientifiques ». Lucienne glisse à des sottises, parce que, le premier feu de son amour pour Jean une fois tombé, elle se souvient à tout moment qu’elle est fille de fille, et ce que cela signifie d’après son nigaud d’oncle. Soit ; mais alors il faudrait qu’il ne pût y avoir (d’autre explication des sottises de cette jeune femme, et que l’auteur lui-même ne nous en présentât aucune autre ? Elle s’ennuie à la campagne et regrette les divertissemens de Paris ? Mais c’est peut-être tout) simplement parce que son mari la laisse, du matin au soir, seule à la maison. Elle est imprudente avec M. de Beaucourt, et bien facilement émue de son étreinte ? Mais c’est peut-être parce qu’elle l’a aimé jadis : cela nous a été dit au premier acte. L’émoi que lui donne sa leçon de bicyclette ne serait significatif soit de l’hérédité de Lucienne, soit de l’idée qu’elle s’en forme, que si Beaucourt était pour elle le premier venu, un passant. Et ainsi de suite… Bref, on ne voit pas du tout, mais pas du tout, que Lucienne, dans ses comportemens les plus répréhensibles, subisse d’autre hérédité que celle du péché originel.

Laissons donc le drame ; laissons la question de l’atavisme, et aussi celle des « faillites partielles de la Science » ; car le critique illustre qui naguère a agité cette question avec tant d’éclat la jugerait mal posée ici, et trop confusément ; il estimerait lui-même que le « puffisme » à la fois ingénu et « roublard » du docteur Bertry n’a pas grand’chose à voir avec la Science, et qu’il aurait la partie trop belle