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du commandant d’Alein, tout accidentelle, ne s’est déclarée que deux ans après la naissance de son fils, Didier peut croire qu’il ne lui suffit point, pour ne pas devenir fou, de ne pas vouloir le devenir. Mais Jean Belmont a beau être d’humeur mélancolique, il sent bien qu’il ne se suicidera que s’il le veut. Il s’agit donc uniquement, pour lui, de vouloir vivre, comme pour Lucienne de vouloir être sage.

Et ils le voudront, et, ce qu’ils veulent, ils le feront, dès qu’ils croiront à leur libre arbitre. Car on le crée en y croyant. Ou, si vous demeurez persuadés qu’il n’est qu’une illusion, et que la croyance à notre liberté morale est un mobile d’action aussi fatalement déterminé que les autres dans ses origines et dans, ses effets, toujours est-il que la fatalité de ce mobile nouveau a justement pour caractère de combattre et de compenser la fatalité des instincts et impulsions physiques.

Comment donc, puisqu’il est établi que Jean et Lucienne ne souffrent que d’une maladie de la volonté, seront-ils amenés à « vouloir » ? Par l’absurdité même et la lourde intransigeance des affirmations du docteur Bertry, qui les révoltent à la fin, et surtout par leur amour. Remède infaillible. Car, puisqu’ils s’aiment, ils veulent être l’un à l’autre, et, puisqu’ils veulent être l’un à l’autre, Jean veut vivre, et Lucienne veut être fidèle. La scène où ces deux faux condamnés au suicide et au vice unissent leurs tristesses et s’aperçoivent qu’ils unissent en même temps leurs cœurs, et sentent tomber leurs chaînes de liège peint en fer, et jurent de s’évader de la prison de carton où la crédule et tyrannique imbécillité du docteur les tenait enfermés au nom de la Science, cette scène charmante, tendre, généreuse, allégeante, est assurément une des meilleures de l’ouvrage.

Les voilà donc exorcisés. Mais dès lors, comme j’ai dit, le drame de l’atavisme est terminé. Car Jean et Lucienne, mariés, pourront bien, dans la suite, subir des tentations et commettre des fautes : il sera extrêmement difficile de démêler ce qui, dans leurs troubles et dans leurs erreurs, reviendra à l’hérédité ou à la terreur secrète qu’ils en ont peut-être gardée, et ce qui reviendra à l’universelle faiblesse humaine dont ils continuent, j’imagine, à participer. Jugez plutôt. Jean et Lucienne se sont installés à la campagne. Jean fait valoir ses terres, marche dix heures par jour dans ses guérets, mange de la soupe le matin et du saucisson à l’ail. Celui-là est parfaitement guéri ; pas une rechute, et nous n’avons donc plus à nous occuper de lui. Quant à Lucienne, elle est tentée ; mais son aventure n’est, dans le fond, qu’une variante de l’aventure de Gabrielle. Elle s’ennuie. Un clubman qui avait dû l’épouser autrefois, M. de Beaucourt, vient la relancer dans