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contre le sable qui lui entrait dans les yeux, les oreilles, la bouche, le nez, jusque dans sa montre, et à fuir les mouches, dont les cruelles persécutions, nous dit-il, font de cet odieux village saharien un véritable enfer, eine Hölle auf Erden. Il lui tardait d’échapper à son supplice, et dès qu’il eut pénétré dans la grande ville, il s’occupa de s’y refaire ; je crois me rappeler qu’il y fut pris des fièvres, mais les fièvres ne lui ôtaient pas l’appétit, et il nous donne de grands détails sur les menus de ses festins. Il constata avec plaisir que les Tombouctiens faisaient trois repas par jour, que les petites galettes de l’endroit, qu’on trempe dans du miel et du beurre fondu, étaient excellentes, que les viandes étaient honnêtement apprêtées. Tout en se refaisant, il se disait : « Quoiqu’on soit bien ici, je voudrais savoir comment on s’en va ! » Et à peine arrivé, il préparait déjà son départ.

Si M. Dubois n’était pas un de ces voyageurs à qui leurs curiosités sont plus chères que leurs sensations, il aurait pu se faire que comme M. Lenz, à peine arrivé, il n’eût plus songé qu’à repartir. Sa première impression fut déplorable. Ce n’était pas le Tombouctou qu’il avait vu dans ses rêves. Partout « des rues malades, des rues mourantes, des rues mortes » ; partout des amas de ruines, des décombres, des pans de murs ébréchés et croulans, des espaces vides, des terrains vagues : çà et là des huttes en paille et des clôtures en paillassons ; dans les quartiers les mieux habités, pas une de ces maisons aux dehors engageans, qui abondent à Dienné, et semblent dire : « Entrez, vous trouverez ici tout ce que vous cherchez. » Il assistait à la déroute, à l’effondrement de ses espérances, et il ne pouvait imputer son cruel mécompte aux brutalités de la conquête française : notre drapeau, a été arboré sans assaut, sans qu’un seul coup de fusil ait été tiré.

Fallait-il donc croire que la fameuse métropole du Sahara et du Soudan, dont les commerçans du Maroc, du Touat, de Tunis, de Tripoli célébraient la splendeur et les délices, n’eût jamais été qu’une cité chimérique, enfantée par des imaginations candides et grossissantes ? Leur illusion et leur mensonge eussent été excusables. Qu’on se représente une caravane cheminant des semaines et des mois à travers l’immensité des sables, sous un ciel torride, sur une terre craquelée, dans le pays de la soif, des vipères cornues et des mirages. « Un matin, trois petites taches noires pointent dans l’horizon incandescent. Les chameaux ne grognent plus : ils rugissent. Les trois minarets se précisent. Tombouctou découpe son profil majestueux… C’est tout à coup pour le voyageur la satiété en toutes choses ; c’est l’abondance de l’eau et de l’ombre, c’est le secours de la parole de Dieu, c’est le