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Preussische Jahrbücher ; il paraît que l’alliance entre la fortune et la culture, entre le Besitz et la Bildung, qui caractérisait en tous pays les régimes « libéraux » et donnait l’illusion de leur immortalité, serait tout près, en Allemagne, d’être dénoncée ; et que la Bildung, autrement dit la science, se cabrant contre l’humiliant dressage que lui voudraient imposer M. de Stumm et ses amis, prêterait ses services de plus en plus actifs à la cause des réformes sociales. M. Naumann, donnant à Iéna, cet été, une série de conférences, y fut accueilli par les professeurs de l’Université avec des salves d’applaudissemens dont on souhaitait que le fracas fût entendu à Berlin ; sous le drapeau de ce missionnaire réformiste, qui n’est point un savant, l’Allemagne savante est en train de s’enrôler ; le juriste Sohm et l’historien Delbrück, les économistes Max Weber et Schulze-Gaevernitz, les théologiens Harnack, Titius, Gregory, enfin le professeur Lehmann-Hohenberg, un homme de science qui est un Mécène, composent à M. Naumann une brillante avant-garde intellectuelle ; tout dernièrement encore, le philosophe Paulsen consacrait à ces nouveautés un article sympathique ; et si l’Eglise officielle est en train d’émigrer, forcément, du mouvement évangélique-social, d’autres contingens la remplacent.

Or tant qu’elle s’y mêlait intimement, il était impossible, en dépit des efforts de certains « jeunes », que le mouvement évangélique social tendit exclusivement à ce que M. Lehmann appelle la « légalisation » de la lutte des classes : les théologiens objectaient que l’Eglise est en dehors des partis ; et les bureaucrates, qu’il ne faut mécontenter personne. Mais la lente retraite de l’Eglise supprime ces objections ; et les « jeunes » l’ont si nettement senti, que, dès le mois d’août dernier, M. Naumann publiait dans la Hilfe un programme de socialisme national, qu’en octobre il fondait à Berlin la Zeit, organe quotidien de ce programme, et que l’ « assemblée des chrétiens non conservateurs », réunie à Erfurt du 22 au 25 novembre, a jeté les bases d’une organisation socialiste nationale. Avec un désintéressement qui témoigne la sincérité des amis universitaires de M. Naumann, M. Delbrück souhaitait, dans la Zeit, que cette organisation eût le caractère exclusif d’une représentation du prolétariat, et que les hommes cultivés (die Gebildelen) n’y fussent admis que s’ils acceptaient intégralement les vœux du quatrième état ; la réunion d’Erfurt, où ces hommes cultivés étaient assez nombreux, n’a pris aucune décision qui ratifiât d’une façon précise ces idées de