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ou de Berlin, mais incapable de haine, « même contre les Rothschild », et concertant sa vie comme une leçon de charité. Non plus que les audaces du Jésus qu’il s’est reconstitué, les aventures de pensée ou de langage de M. Frédéric Naumann ne sont jamais des provocations : elles sont l’expression plénière d’une conscience, le complet épanouissement d’un cœur.

Tantôt soupçonnée, tantôt notoire, la divergence entre les vieux et les jeunes chrétiens-sociaux ajoutait à l’intérêt des congrès évangéliques et attestait même la liberté parfaite de ces assemblées ; mais en se répercutant dans le domaine des initiatives pratiques, elle fut une source de difficultés. Les cercles de travailleurs allaient toujours se multipliant : ils étaient, en 1893, 230 avec 73 000 membres. En Bade, en Wurtemberg, ils prétendirent devenir le noyau d’une organisation ouvrière et prêter une voix aux intérêts du travail ; ce rôle de justiciers ou d’avocats était au contraire décliné, en Westphalie, dans le Palatinat, en Saxe, en Silésie, par les autorités de ces cercles. Le congrès de Berlin, en 1893, abrégea la scission ; et le compromis que M. Weber signa pour les vieux chrétiens-sociaux, et M. Naumann pour les « jeunes », assignait décidément aux cercles évangéliques une importance économique, définissait un programme d’études sociales sur lequel porteraient les discussions des membres, et rattachait à ces cercles, enfin, un certain nombre d’institutions, caisses de prêts, d’assurance, de chômage dont les ouvriers eux-mêmes auraient la gérance. C’était là une victoire pour les « jeunes », si véridique et si complète même qu’on vit bientôt M. Weber, chrétien-social de vieille nuance, associer pour une action commune les mineurs protestans de Westphalie et du Rhin avec les mineurs catholiques dirigés par M. l’abbé Oberdorffer ; et les cercles évangéliques, exclusivement anticatholiques à leurs débuts, ne pouvaient à coup sûr subir une transformation plus radicale.

Que l’organisation ouvrière se développât, et que les institutions ouvrières fussent encouragées, que les travailleurs fussent mis en mesure, par un « régime constitutionnel », de présenter au patronat certaines revendications, et de se passer, grâce à leur self-help, de la bienfaisance de ce patronat ; c’est à quoi tendaient les « jeunes », et avec eux, fatalement, tout le mouvement évangélique-social, et c’est de quoi s’inquiéta, malgré ses déclarations chrétiennes-sociales de Tivoli, le parti conservateur. Ce parti voulait exercer sur les ouvriers une protection patriarcale, et les « jeunes » voulaient apprendre aux ouvriers à