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dans son journal la Hilfe, créé en 1894, exposait les bienfaits de l’agitation socialiste en même temps que les faiblesses de l’idéal marxiste ; il justifiait le principe même d’un parti purement ouvrier ; il en étudiait avec sympathie les programmes et les congrès, épiant l’acheminement de la démocratie socialiste vers une politique « plus pratique, plus utile au peuple », et laissant aux « journaux bourgeois » le soin de disserter si les évolutions de cette démocratie la rendaient « plus ou moins dangereuse » ; il traitait, enfin, les agitateurs révolutionnaires avec une cordialité à laquelle le christianisme social ne les avait guère habitués.

Avec M. Frédéric Naumann, le protestantisme social, en Allemagne, s’est fait cordial ; il ne l’avait jamais été avec M. Adolphe Stoecker. On dirait que les destinées ont voulu jouer à l’antithèse en attelant ces deux hommes à une même œuvre : l’un, épris des vastes programmes de régénération religieuse et sociale, cherchant ardemment des conquêtes pour son Eglise, et dans son Église pour sa nuance, donnant à ses succès un air de revanche, et dirigeant un mouvement d’avenir avec l’allure passionnée, volontiers vengeresse, d’un homme de réaction ; l’autre, travaillant à organiser le « secours social » (Hilfe) avec le postulat de l’amour chrétien, insouciant de sa propre personnalité, mis à l’aise, dans la lutte, par la vertu même de son puissant idéalisme, et timide dans la victoire, qu’il accueille avec une émotion souriante, tout prêt à rendre les honneurs aux vaincus. M. Stoecker, des hauteurs de sa chaire, expose le christianisme comme un système religieux et social ; M. Naumann, de plain-pied avec ses ouailles dans la petite salle d’école où il fait ses prônes, est le messager de Jésus, tout simplement. On dit qu’il a rapporté, de son séjour aux universités de Leipzig et d’Erlangen, un certain attachement pour la foi « positive » ; mais il ne l’impose ni même ne la propose ; ses prédications, comme les petites méditations que chaque semaine il épanche on tête de la Hilfe, trahissent plutôt l’état d’esprit d’un disciple de Kitschl ; il veut, comme les théologiens « modernes », éveiller en ceux qui l’écoutent l’impression personnelle de Jésus. Et l’effigie sacrée qu’il cherche à graver dans les cœurs n’est point celle du thaumaturge, — l’auditeur, peut-être, ne croit point au miracle, — ni celle du dieu, — ce serait là une question de théologie. Le Jésus que M. Naumann révèle, c’est l’homme du peuple, dédaigneux du bon ton, impitoyable aux préjugés et aux abus, susceptible d’être taxé de révolutionnaire par les chrétiens d’aujourd’hui s’il traînait sa pauvre tunique dans les rues de Francfort