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de Dresde : et d’après lui, comme d’après beaucoup de théologiens libéraux, l’Eglise évangélique, laissant au papisme le soin de poursuivre des améliorations économiques, en devait poursuivre exclusivement la condition préalable, c’est-à-dire la formation évangélique-sociale des âmes. Pour orienter le congrès évangélique-social, oscillant entre ces diverses tendances, l’influence de M. Paul Goehre fut souveraine.

Au mois de juin 1890, au lendemain même du premier congrès, M. Goehre, candidat en théologie, revêtait un bourgeron, et s’en allait travailler dans une usine de Chemnitz. Il y passa trois mois, regarda tout, écouta tout. Des spectacles qu’il eut sous les yeux, il conclut que la grande industrie créait à la masse des travailleurs un régime d’existence incompatible avec l’observation même de la morale ; que la famille ouvrière était détruite par les conditions économiques ; et qu’un certain nombre de ménages, pour ajouter à leurs salaires le supplément indispensable, devaient soumettre leurs enfans à la promiscuité, fréquemment renouvelée, d’ouvriers et d’ouvrières célibataires (Schlafburschen), admis, pour quelques pfennigs, à partager la commune couchette du plancher. Tous socialistes en bloc, non par adhésion doctrinale, mais parce que les socialistes leur proposaient une organisation et une représentation ; tous respectueux de la personne de Jésus, parfois considéré comme une première ébauche de Bebel ; et tous, enfin, rendant à l’Eglise évangélique oubli pour oubli : c’est là ce que M. Goehre put induire de leurs propos. Il raconta lui-même, dans un livre qui fit du bruit, son commerce avec ce prolétariat à demi sauvage, engrais vivant qui, dans la plupart des grandes villes, a recouvert le vieux terreau chrétien, et sur lequel fleurissent, d’un éclat parfois inquiet, les merveilles de nos civilisations scientifiques. Au terme de son récit, M. Goehre se reportait vers les congrès évangéliques-sociaux dont il était le secrétaire général ; et, fort de son expérience, il leur assignait cette double mission de révéler aux classes éclairées et à l’Etat, en la confrontant avec l’idéal chrétien, la situation des travailleurs, et de guider la sollicitude des pasteurs pour le relèvement de ces misères, d’être tout ensemble, en deux mots, une tribune pour l’opinion et une école pour le clergé.

Tandis que certains amis de M. Stoecker eussent fait dégénérer le congrès en un vestibule du Reichstag et certains amis de M. Sulze en une conférence d’organisation paroissiale, M. Goehre eut le grand honneur d’en énoncer et d’en faire appliquer la vraie