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la chaire, répandu depuis vingt ans par Wagner et ses disciples[1], s’égaraient au milieu d’elle, perçus tout de suite et retenus avidement : dans les universités allemandes, les murs ont des oreilles, et les étudians aussi. Ce jeune clergé protestant eut un moment d’ivresse lorsqu’il lui parut, en 1890, que la science économique et l’Eglise évangélique, de concert, le poussaient au relèvement des masses. Ne perdons point de vue, désormais, cette alliance, toujours plus consciente et toujours plus visible, de la science et du protestantisme social : elle aura des conséquences que nous indiquerons en leur lieu.

Observons aussi que c’est en faveur du quatrième Etat, surtout, que le rescrit de 1890 réclamait l’action de l’Église ; et les applications du christianisme social qu’il comportait se rapprochaient davantage des premières créations de M. Stoecker que de ses créations subséquentes : les travailleurs (Arbeiterstand), beaucoup plus que le Mittelstaad, étaient désignés aux caresses de l’Eglise. Si bien que ce rescrit était plutôt une victoire du Stoecker de 1878 que du Stoecker ultérieur ; et l’on peut dès à présent comprendre pourquoi le mouvement provoqué par le rescrit se produira fréquemment à côté de ce second Stoecker, et finira par s’écarter de lui.

C’est aux cercles évangéliques de travailleurs que profita tout d’abord le déchaînement des ardeurs sociales. Lorsque, en 1882, la piété sectaire d’un mineur de Westphalie avait fondé le premier de ces cercles, il était loin de penser qu’un jour un mouvement ouvrier en sortirait ; et ce n’est point au capitalisme, mais à l’ultra-montanisme, qu’il désirait opposer un épouvantail. Il assurait aux membres de ces groupemens confessionnels d’honnêtes plaisirs, des conférences instructives, et je ne sais quelle vaccination contre le « jésuitisme », d’autant plus sûre que les jésuites étaient sévèrement expulsés de l’Empire : les préoccupations sociales étaient reléguées à l’arrière-plan. Elles en furent retirées peu à peu par un théologien de München-Gladbach, M. Weber, disciple de M. Stoecker ; et elles prirent dans la vie des cercles une place plus considérable à mesure que, dans l’Empire, ces groupemens se multipliaient. Le rescrit de 1890 fut pour cette évolution une aide

  1. Si l’on est curieux de savoir comment a rayonné cet enseignement, et quel rôle il a joué dans la vie allemande contemporaine, on n’en saurait trouver une indication plus précise, ni mieux éclairée par des observations personnelles, que dans un travail de M. Théodore Ruyssen, publié, de septembre à novembre 1896, dans la Revue politique et parlementaire.