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du parti qui se réclamait d’elle, il semblait qu’elle eût acquis un partisan suprême, qui l’érigeait en idée nationale.

En outre, pour le service de sa politique, Guillaume II demandait le concours de l’Eglise évangélique, et le conseil suprême, toujours docile, rédigea une réponse conforme le 17 avril 1890. Nous avons dit entre quelles digues le rescrit de 1879 avait canalisé l’activité sociale des pasteurs : depuis onze ans, des fissures s’y étaient produites ; les premiers succès de M. Stoecker avaient suscité des émulations, et de-çà, de-là, à travers l’Empire, des ecclésiastiques s’essayaient à l’imiter, tantôt pour faire pièce au catholicisme social et tantôt par amour du Christ. On discutait volontiers, dans les synodes, l’attitude qui seyait aux ministres de l’Evangile en face de la crise sociale ; et les opinions s’entre-choquaient, les uns soutenant que l’Eglise, ouverte à tous, doit s’imposer la plus grande réserve, et les autres objectant qu’abandonnée par beaucoup, elle doit les reconquérir en avisant à leurs besoins. On débattait aussi sur la façon de combattre le socialisme : les timidités correctes professaient que la chaire est la seule tribune où l’Evangile puisse être étalé, et les audaces bouillonnantes, pressées d’affronter les erreurs du dehors, flétrissaient cette théorie comme le voile d’une lâcheté. La voix du conseil suprême domina bien vite le bruit de ces colloques. Après avoir rappelé que l’Eglise n’a point mission de trancher la question sociale ou de prendre position en faveur d’un système économique, « soit proposé, soit en vigueur », — phrase qui déchargeait les pasteurs de l’obligation parfois ingrate de défendre l’ordre existant, — le conseil leur adressait deux invitations très nettes. Théoriquement, ils devaient se faire les avocats du quatrième Etat. « La protection du bien-être matériel des travailleurs et de leur famille, disait le rescrit, est une des conditions préalables pour le relèvement de leur vie matérielle et morale. L’Eglise doit faire en sorte que les besoins légitimes des travailleurs reçoivent satisfaction, que des mesures soient prises contre l’exploitation abusive de leurs forces et des forces de leur famille, que les classes possédantes, par d’activés mesures préventives, empêchent le fossé de se creuser entre elles et les classes pauvres, et qu’on fasse des efforts pour le combler. » Pratiquement, les pasteurs étaient conviés à sortir de leurs temples pour lutter contre le socialisme « qui, des mines et de l’industrie, se répand dans les métiers, à la campagne, parmi les domestiques » ; le rescrit ordonnait que « partout où cela serait possible, dans les villes comme à la campagne, on fît effort pour que