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voyage de Stoecker, messager d’antisémitisme ; ni l’impression fâcheuse produite par une déposition du prédicateur, rendue en justice sous la foi du serment, et dont un détail fut reconnu inexact : ni l’acharnement souvent odieux avec lequel la presse hostile, qualifiant de faux témoignage ce qui pouvait n’être qu’une inadvertance, criblait Stoecker de boue, de cette boue qui souille lors même qu’elle ne s’attache pas, ni les intrigues de tout genre, enfin, dont on essayait de l’envelopper, ne prévalaient contre la virile énergie du tribun. Il voulait un rôle universel et savait fort bien unifier ses multiples rôles : directeur de la mission urbaine, il incarnait la charité chrétienne : chef du parti chrétien, social, il incarnait la justice chrétienne ; champion des intérêts orthodoxes, il incarnait la foi chrétienne ; membre de la Chambre prussienne depuis 1879 et du Reischtag depuis 1881, il voulait incarner la politique chrétienne.

C’est cette dernière prétention qui mit en conflit M. Stoecker et M. de Bismarck. Le chancelier de l’Empire avait volontairement égaré, dans les oubliettes de sa longue mémoire, les raisonnemens antisémites et les hymnes à l’Etat chrétien que, du haut de la tribune parlementaire, il avait autrefois commis. Sa pensée réaliste avait émigré dans un domaine plus pratique ; et devenu dompteur de Parlemens, il faisait consister la politique à repétrir de ses propres mains les partis avec lesquels il voulait gouverner, semblable à l’auteur dramatique qui tient compte de la réalité, mais qui, pour en être plus sûrement le maître, revendique le droit de la créer à nouveau. Changez l’individualité de l’un des personnages, la pièce se disloque : M. de Bismarck tenait à la cohésion de ses pièces, et ne tolérait pas que des comparses indiscrets modifiassent, dans la coulisse, la physionomie des personnages, c’est-à-dire des partis. Or il unit un jour les conservateurs et les libéraux dans une commune majorité gouvernementale, et sous le nom de Cartell, il tenait à la faire vivre. M. Stoecker entretenait, au sujet du parti conservateur, des visées précisément inverses de celles du chancelier : il le voulait chrétien-social, et M. de Bismarck le faisait s’acoquiner avec des libertins ; il le voulait antisémite, et M. de Bismarck l’associait à une tactique que la presse juive approuvait ; il le voulait chrétien tout court, et le Cartell, tel que le réalisait M. de Bismarck, était la négation même d’une politique chrétienne. Sur le damier de l’Allemagne parlementaire, il y avait donc un pion que M. Stoecker et M. de Bismarck cherchaient à promener en sens divergens, et