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femmes, dont Jésus redevenait le dieu et dont M. Adolphe Stoccker était le prophète. Ouvriers attirés au christianisme par l’appât d’un programme social, boutiquiers ou petits bourgeois qui saluaient dans Jésus la première victime des Juifs, infortunés de toutes catégories, enfin, pour qui la souffrance était comme une profession, et qui se remettaient à aimer la religion moins encore pour le bien qu’elle leur faisait que parce qu’elle cherchait à leur en faire : tels étaient les instruirions de ce qu’on appela le mouvement de Berlin. Leur variété d’origines, leur nombre encore médiocre, ne permettaient point à M. Stoecker de les faire manœuvrer dans la mêlée politique comme une armée autonome et indépendante. Préoccupé pourtant de les y engager au plus tôt pour restaurer sans délai dans la vie publique le règne du christianisme, il offrit les troupes chrétiennes-sociales au parti conservateur, une infanterie à cette chevalerie. Tantôt par tradition de famille et tantôt par piétisme, les féodaux du « conservatisme » prussien ne séparaient point Dieu et la patrie, la chaire et le trône ; et lorsque l’idéal théocratique de M. Stoecker se présenterait au seuil de leur cerveau, il y trouverait peut-être des complices, atavisme, instincts, préjugés même, qui l’aideraient à pénétrer.

En ébauchant cette alliance, M. Stoecker jouait une partie qu’il a mis quinze ans à perdre… Et les débuts en furent flatteurs : on traqua le socialisme et le libéralisme sur tous les domaines. Sur le terrain politique, chrétiens-sociaux et conservateurs, dualité désormais unifiée, récoltèrent 40 000 voix à Berlin aux élections de 1881, 53 000 à celles de 1884, au lieu de 6 500 qu’en 1878 ils avaient recueillies ; ils retardèrent de dix ans la victoire du socialisme à Dresde et la lui disputèrent chaudement à Barmen. Sur le terrain religieux, ils attaquaient de front la domination de la théologie « libérale » ou de la théologie « de juste milieu » dans les conseils des communautés paroissiales ; les listes « positives », soutenues par eux, reprenaient le dessus ; Guillaume Ier s’en réjouissait, et Stoecker rêvait d’une église évangélique qui, plus indépendante de l’Etat, soustraite à l’hégémonie de bureaucrates accessibles à toutes les variétés de libéralisme, laisserait à l’initiative des fidèles, c’est-à-dire à l’initiative de Stoecker et de ses ouailles, le soin de surveiller et de corriger, dans les chaires des temples et même des universités, les nouveautés théologiques. Ni le mécontentement du vieil empereur contre les manifestations provoquées à Londres par un