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second cas, l’obligation pour l’Eglise de ne rien tenter qui ne soit d’utilité générale. Avec les interdictions qu’il promulguait et les libertés élastiques qu’il concédait, le conseil suprême, en somme, faisait sauter quelques mailles dans le filet de précautions et de réserves qui avait enchaîné jusque-là les pasteurs officiels épris d’action sociale. La coïncidence de ce fait avec la campagne antisocialiste qu’inaugurait le gouvernement n’échappa point à l’opinion prussienne ; on devina la genèse politique du rescrit, et l’on en sut peu de gré aux autorités évangéliques, auxquelles généralement on enlève le mérite de leurs bonnes actions en disant qu’elles n’ont fait qu’être obéissantes, et qu’on accable impitoyablement sous la responsabilité de leurs maladresses en déclarant alors qu’elles ont accepté d’être esclaves. Pour la première fois, en 1879, l’Église protestante était invitée, par qui de droit, à s’occuper des travailleurs ; on réclamait, dans les hautes sphères, qu’elle se fît connaître à eux, et l’on entretenait ce vague espoir que son active charité, jointe à la justice répressive du gendarme, aurait raison du socialisme. M. Stoecker souhaitait davantage pour son Église ; mais c’était là du moins un peu de ce qu’il souhaitait, puisqu’il voulait que l’Eglise eût un rôle, et qu’en fait le rescrit de 1879 lui en ménageait un.


III

Si les développemens du parti chrétien-social transformaient ce groupement de prolétaires en une agglomération composite, M. Stoecker, lui, se continuait : théocrate toujours, avec de moins grandes allures, mais avec une minutie plus exigeante. Et l’élargissement de son ambition, la ferveur de son antisémitisme, l’affermissement de ses liens avec le parti conservateur — sans parler, naturellement, de son action proprement religieuse — étaient autant de conséquences, immédiates ou lointaines, de cette impulsion théocratique qu’il renouvelait constamment en lui. M. Stoecker voulait imprégner de christianisme la vie entière de l’Allemagne ; et voilà pourquoi, sans abdiquer d’ailleurs son programme de revendications ouvrières, il se mettait à la tête du Mittelstand, demi-plèbe et demi-bourgeoisie, courte mais tenace en ses ambitions, âpre au maintien de la propriété privée, mais détestant dans les grandes fortunes les ennemies victorieuses des petites — la même clientèle, en somme, qui l’année dernière installait les antisémites à l’hôtel de ville de Vienne.