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pasteur, l’auteur connaissait à merveille les deux évangiles qui se disputaient l’Empire, celui du Christ et celui de Marx ; il s’avisa de les confronter. Abordant l’un après l’autre les multiples problèmes dont la question sociale est le total, il en chercha la solution dans le Nouveau Testament, et généralement il l’y trouva. Sur la liberté du contrat, le travail servile, le fermage, le salaire, Todt nous expose par le menu, l’opinion personnelle de Jésus ou de saint Paul. « Vous êtes membres les uns des autres, » a dit l’apôtre ; et Todt en déduit, en des pages qui sont fort belles, la condamnation de la société capitaliste. Dans saint Luc et saint Matthieu, au détour d’une parabole, ou lit que le travailleur « mérite sa nourriture » ; et Todt conclut que le salaire doit répondre aux besoins de l’ouvrier. Mais saint Paul déclarant, en un endroit, que le chrétien mange son propre pain en travaillant, Todt en tire une présomption contre les théories dites du « salaire familial », d’après lesquelles l’ouvrier père de famille devrait, par son propre travail, gagner plus de pain que son appétit personnel n’en réclame. Il est écrit dans la seconde épître aux Corinthiens : « Que chacun donne à son gré, non par contrainte » ; et puisque cela est écrit, Todt condamne certaines applications du socialisme. Au demeurant, en ce qui concerne le principe communiste lui-même, il apparaît à Todt que le Nouveau Testament, bien loin d’y contredire, y prêterait appui. C’est ainsi que, par une façon d’exégèse sociologique, et conformément à l’esprit de la Réforme, sont réclamées et littéralement arrachées aux Livres Saints ces maximes concrètes et positives de morale sociale que Ketteler et ses disciples recueillent, sans peine aucune, dans l’enseignement traditionnel de la théologie thomiste ; et de même que ceux-ci écoutent parler l’ancienne Eglise, Todt, plus indigent, écoute parler les anciens livres, ou plutôt il les fait parler.

On lui a reproché ce procédé, et son œuvre est jugée caduque, d’autant plus caduque, même, que Todt est mort : les précurseurs qui veulent prolonger la vie de leurs livres font sagement de prolonger la leur. Mais son gros volume a fait époque. D’abord, succédant à Wichern, qui ne connaissait à peu près que les anciennes formes du socialisme, celles de 1848, Todt apportait à ses coreligionnaires une véritable révélation en leur offrant un impartial exposé du marxisme : avec une audace vigoureuse, il signifiait aux protestans étonnés, comme depuis longtemps Ketteler en avait persuadé les catholiques, que c’en était fait du