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colonial, imitant les Etats-Unis d’Amérique, applique en effet la doctrine de Monroë à la partie du monde qu’il occupe. Les habitans de Terre-Neuve voient avec irritation les privilèges exclusifs que le traité d’Utrecht confère aux Français sur la partie de leurs côtes désignée sous le nom de French shore. Les Australiens supportent avec impatience la présence des Français et des Allemands dans le Pacifique : la question des Nouvelles-Hébrides, qui sont actuellement soumises à un condominium anglo-français, excite particulièrement les tempêtes de la presse australienne, d’autant que les sociétés de missions, si puissantes en tout pays anglais, viennent jeter de l’huile sur le feu. Si l’on écoutait les Australiens, les Nouvelles-Hébrides seraient immédiatement annexées par l’Angleterre sans s’occuper de nos droits. Il devrait en être de même des îles Samoa, dont les Anglais partagent aujourd’hui la suzeraineté avec les Allemands, et dont le gouvernement de la Nouvelle-Zélande demandait dernièrement que l’administration lui fût confiée. Il n’est pas jusqu’aux îles lointaines d’Havaï que les Australasiens ne voient devenir avec regret une dépendance plus ou moins déguisée des Etats-Unis d’Amérique. C’est que la possession de ces quelques rochers assurerait à l’Empire britannique une excellente station navale entre l’Australie et le Canada, faciliterait la pose d’un câble exclusivement britannique entre ces deux pays, et permettrait de se rendre d’Angleterre en Australie par l’ouest comme par l’est, de faire le tour du monde, sans sortir du territoire de l’empire, sans toucher à d’autres côtes qu’aux siennes. Enfin, en Afrique du Sud, notre expédition de Madagascar avait vivement surexcité les esprits ; des interpellations avaient été adressées au ministère colonial ; M. Cecil Rhodes s’est honoré et a fait preuve de la largeur de vue qui caractérise les hommes supérieurs en défendant le droit qu’avait la France de civiliser Madagascar et refusant de soutenir des motions hostiles. Avant nous, les Allemands avaient suscité aussi une grande émotion dans la colonie en prenant possession du Damaraland et du Namaqualand, entre le fleuve Orange et les possessions portugaises. Le Canada aux Canadiens, l’Australasie aux Autralasiens, l’Afrique du Sud aux Sud-Africains, — aux blancs bien entendu, les gens de couleur ne comptent jamais, — voilà ce que veulent les coloniaux britanniques ; et ils expriment leurs aspirations avec l’énergie un peu brutale, l’absence de formes habituelle aux peuples jeunes et de vigoureuse croissance. Le ministère des Colonies anglais est parfois vertement