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Que pourraient devenir les colonies britanniques après la proclamation de leur indépendance ? Le Canada serait absorbé par les États-Unis ; et s’il y a eu un moment, surtout parmi ses habitans de langue française, un parti « annexionniste », il n’existe plus guère aujourd’hui. Les Canadiens français sont les plus loyaux des loyaux sujets de la reine ; ils se rendent compte que l’union à leur puissant voisin du sud sonnerait le glas de leur nationalité ; l’Eglise, qui serait atteinte dans ses privilèges, y est fort hostile ; même s’il s’agissait de s’unir de nouveau à la France, les Canadiens français s’y refuseraient sans doute, — leurs principaux hommes d’Etat ne s’en cachent pas, — car ils ne sont point à l’image de nos dirigeans d’aujourd’hui. L’Afrique du Sud, divisée, elle aussi, entre deux races blanches, plus équilibrées en nombre et plus hostiles que celles qui se partagent le Canada, et vivant au milieu d’une majorité de noirs, ne peut guère vivre seule ; elle serait à la merci de toutes les attaques, et les forces barbares, qui sont si puissantes en Afrique, risqueraient d’anéantir la civilisation européenne importée, comme elles eurent raison jadis du peuple qui construisit les grands monumens du Mashonaland. L’Australasie, enfin, pour isolée qu’elle est, ne serait pas en complète sécurité. Elle est bien peu peuplée encore ; elle pourrait tenter l’ambition de l’Allemagne qui n’a pas de colonies de peuplement, ou peut-être se verrait-elle envahie par les Jaunes, qu’elle n’écarte aujourd’hui qu’en les frappant à leur entrée d’un droit de 2 500 francs par tête et qui s’y trouvent déjà au nombre de plus de 40 000, occupant des quartiers entiers de Sydney et de Melbourne et monopolisant presque la petite culture maraîchère. Que serait l’issue d’une guerre entre l’Australie et le Japon ?

Sans doute, les peuples sont quelquefois aveugles ; mais les intérêts qu’ont les colonies à rester unies à l’Angleterre sont trop manifestes vraiment pour qu’elles ne les aperçoivent pas. Point n’est besoin de la fédération pour parer à un danger illusoire de dislocation de l’Empire britannique. Si les colonies la désirent, c’est d’abord pour obtenir des privilèges commerciaux, c’est aussi pour rendre plus grands encore les avantages qu’elles y trouvent déjà au point de vue international et dont l’indépendance les priverait. En revanche, la Grande-Bretagne risquerait de se trouver entraînée de ce fait dans des embarras extérieurs très grands. Dès aujourd’hui, ses turbulentes dépendances, enfans mal élevés d’une mère pleine de sollicitude, rendent parfois fort difficile la tâche des diplomates anglais. Chaque groupe