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à la fin du XVIIIe et au commencement du XIXe siècle ? Les vieilles puissances colonisatrices, comme la France, ne sont pas seules à rentrer en lice ; les plus jeunes nations de l’Europe, l’Allemagne, l’Italie, à peine constituées, se jettent dans la même voie. L’Angleterre elle-même participe largement à la curée de l’Afrique et s’y taille de nouveaux et vastes domaines. Sans doute, ce sont là principalement des possessions d’un autre genre que les anciennes colonies anglaises ou espagnoles du Nouveau-Monde ; et il semble bien acquis aujourd’hui que les pays tropicaux du moins, habités par des races barbares ou trop indolentes, doivent rester très longtemps, sinon toujours, aux mains des peuples européens, si l’humanité veut tirer parti de leurs vastes ressources. Mais pourquoi les colonies de peuplement elles-mêmes, les contrées d’outre-mer habitées par des hommes de ; sang britannique, ne resteraient-elles pas aussi unies à la mère patrie, non plus comme des sujettes, mais comme des égales, comme des associées ? Les vexations d’une politique maladroite, égoïste et hautaine, peu respectueuse de leurs droits, a conduit à une rupture violente les colons anglais et espagnols du Nouveau-Monde. Aujourd’hui que les grandes colonies anglaises jouissent de toutes les libertés qu’elles peuvent désirer, les mêmes causes de séparation n’existent plus, et si l’on réfléchit aux nouvelles données du problème, la dislocation de l’Empire britannique ne paraît nullement inévitable. Cette concession même des institutions parlementaires, que l’on considérait comme devant préparer l’indépendance des colonies, semble devoir servir à les maintenir unies à la métropole. Mais s’il en est ainsi, si l’empire doit durer, il faut donner plus de consistance aux relations entre ses divers membres ; il faut resserrer, suivant un plan défini, ces liens qu’on avait laissés se relâcher, alors que la rupture en semblait fatale et même prochaine ; il faut remanier, rajeunir, raffermir la constitution de l’Empire, — ou plutôt il faut la créer, car, à vrai dire, elle n’existe pas.

L’idée impérialiste, qui est dans la logique de la situation actuelle de la Grande-Bretagne et de ses colonies, a tiré deux puissans soutiens de préoccupations commerciales et militaires. Si l’on avait pu croire, après le traité de commerce de 4860, que le monde entier serait bientôt converti au libre-échange, et que la certitude de trouver partout des débouchés assurés aux produits des industries nationales rendrait la possession de colonies tout à