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en vint à considérer en Angleterre l’existence de l’Empire britannique comme un phénomène transitoire. La parole de Turgot, « qu’une colonie devenue adulte se détache de la mère patrie comme un fruit mûr d’un arbre », prononcée avant la guerre de l’Indépendance américaine, avait été vérifiée une première fois par cette guerre ; confirmée ensuite par l’affranchissement des colonies espagnoles et de Saint-Domingue, puis par la séparation du Brésil et du Portugal, elle devint un article de foi. Vers 1850 ou 1860, tout le monde croyait assurément, en Angleterre comme ailleurs, que l’Empire britannique, Greater Britain, la « Plus grande Bretagne », seul survivant, comme le fait remarquer l’historien Seeley, de toute une famille d’empires, — la Plus grande France, la Plus grande Espagne, le Plus grand Portugal, — pour avoir duré plus longtemps qu’eux grâce à la sagesse et à la puissance maritime de la métropole, n’en était pas moins voué à une dissolution prochaine. Encore quelques dizaines d’années au plus, et l’Australie, le Canada, le Cap, les Antilles même proclameraient leur indépendance et formeraient de nouvelles nations ! Le but que devait se proposer l’Angleterre et qui était atteint par l’octroi d’institutions libérales, c’était seulement de faciliter la séparation, de la rendre amiable, en sorte que de bons rapports subsistassent ensuite entre elle et ces nouvelles nations de même race. L’apôtre du libre-échange, Cobden, prêchait même l’abandon de l’Inde où l’Angleterre ne jouait à son sens que le rôle odieux d’un oppresseur.


II

A partir de 1870 ou de 1875, et surtout dans ces quinze dernières années, on a commencé dans le Royaume-Uni à envisager la question coloniale d’une autre façon. On s’est demandé si la séparation des colonies était un fait aussi inéluctable qu’il avait paru l’être longtemps. Dans un monde renouvelé par les moyens de communication rapide, où la distance devient un facteur tous les jours moins important, l’Empire britannique apparaît aux yeux de beaucoup d’esprits non plus comme un anachronisme, comme un vestige du passé destiné à disparaître, mais plutôt comme un précurseur, comme un type particulièrement approprié aux conditions d’existence modernes. Ne voit-on pas en effet se reformer de toutes parts de grands empires analogues à ceux qui disparurent