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J’ai sous les yeux les fenêtres de la chambre même où j’ai gardé pendant cinq ans, avec l’aide de Lydia, ma mère paralysée et mourante. Plus heureuse que moi, vous avez un père, un fils, des parentes ; et vous pouvez laisser à votre mari, mon cousin, le soin d’ordonner tout ce qui touche les ennuyeuses et fatigantes opérations du changement de domicile dont vous parliez.

Pour moi, je n’irais pas jusqu’à Saint-Cloud sans jeter l’incertitude et l’effroi de toute chose dans l’âme de tous les habitans de ma maison, qui ne savent que décider en mon absence.

Mon oncle le trappiste n’était pas plus cloîtré que je ne le suis, croyez-le bien ; mais il avait, dans sa cellule de la Val-Sainte, un renoncement à tous les attachemens de ce monde et à toutes les créatures du Seigneur que je ne saurai jamais atteindre.

Enfin mon imperfection en ceci me permet de vous dire bien vite, et en même temps que je l’éprouve, que vous ne sauriez avoir une seule peine sans que mon âme en soit remuée profondément, et que je ne sente dans mes yeux une larme que vous n’y verrez pas.


XIX


Paris, jeudi 10 octobre 1861.

Je reçois à l’instant votre douloureuse lettre, chère amie, et je ne perds pas un moment pour vous dire combien je prends part à cette affliction nouvelle, qui cependant n’était que trop prévue. — Vous avez au moins cette consolation, de n’avoir pas perdu un instant de sa vie sans la consoler, et comme je vous écrivais : Ne vous ménagez pas, aussi ne vous êtes-vous pas ménagée, et vous avez, je le crains, poussé trop loin le dévouement, puisque déjà vous commenciez à avoir la fièvre. Vous avez vu par ma dernière lettre qu’elle m’effrayait pour vous et que je vous parlais de chercher, dans cette triste maladie, un secours auquel bien des familles ont été forcées de recourir : le couvent des sœurs chrétiennes, aussi patientes qu’une fille peut l’être, mais insensibles par coutume, par lassitude de voir toujours souffrir auprès d’elles. et (il faut le dire), insensibles par piété, à force de considérer uniquement la vie future et de mépriser celle où nous sommes. Les saintes femmes secourent et consolent, mais ne souffrent jamais des cris, des reproches, des plaintes qui nous tuent dans nos familles, et qui ont dû vous faire bien du mal.

Comme j’ai coutume d’épargner à ceux que j’aime toute espèce