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votre oncle d’être bavard. J’avais au contraire espéré qu’il serait indiscret, et je lui trouve l’innocence d’une colombe. Je lui avais écrit toute une petite gazette du soir pour répondre à ses questions, afin que ce fût une sorte de circulaire pour nos parens, amis, alliés et connaissances ; et je pensais que sa première action serait de vous la dire. Il semblait même me le dire en me parlant de votre absence pour quelques jours au château de Champ-Ch… où il vous écrivait.

Ce fut le 23 octobre de l’an de grâce 1832 (autrefois, il y a un siècle, comme vous savez) que mon cousin, votre oncle en un mot, m’écrivit pour me demander si ma présentation, annoncée dans un journal, avait eu lieu le 10 octobre, et quelles étaient les paroles échangées de part et d’autre.

Je lui répondis jadis, le 30 octobre de la même année, que, comme je connaissais le prince Louis-Napoléon depuis quatorze ans, je ne lui avais pas été présenté du tout ; mais qu’apprenant à Bordeaux que j’étais encore dans mon ermitage, il avait bien voulu en témoigner un plaisir assez vif, et que j’avais reçu de lui l’invitation de dîner chez lui à Angoulême ; que je m’y étais rendu le 10, et qu’après la soirée je l’avais accompagné au bal de la ville. Quant aux paroles échangées de part et d’autre, comme elles ont été fort nombreuses et que j’ai, par caractère, une longue habitude de silence et de réserve sur toute chose tant soit peu particulière à quelqu’un ; comme cette disposition native n’a fait que s’accroître pendant seize ans de vie alarmée, où le silence est une consigne ; comme cette coutume s’est accrue encore par un long séjour en Angleterre et mes rapports avec les Anglais dans leur pays et le nôtre, il en résulte qu’il y a sur mon caractère une double enveloppe de taciturnité qui fait que j’aime à parler des idées et des sentimens, jamais des personnes. Etant donc orné de ce triple défaut, il m’a été absolument impossible de me livrer aux plaisirs de l’anecdote comme tel journaliste de ma connaissance qui l’aurait multipliée par vingt mille exemplaires et embellie de quelques agrémens.

Ayez donc la bonté, chère Alexandrine, de me dire d’abord si vous avez lu la lettre que j’écrivais à votre oncle mon cousin. Ensuite, quand je serai sûr de ne pas me répéter, chose que je considère comme une grande infortune, je chercherai si j’ai dans la mémoire quelque chose à ajouter à cette gazette des temps passés. Vous ne m’avez écrit que le 5 décembre pour me demander les mêmes choses ; j’ai, en vérité, pensé que mon cousin,