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Ce qu’il faut souhaiter à tout homme qui, à tort ou à raison, s’est créé un nom célèbre, c’est de tirer son nom du sac où se ballottent et se roulent les intrigues politiques, qui cherchent à souiller tous les noms.

Horace Walpole disait : Dirty Politic ! (Donnez cela à traduire à votre petit Hector.) C’est dans des temps comme le nôtre que la solitude est sainte. Quand par hasard vous vous occuperez de votre cousin, en famille, vous ferez bien de vous informer, car je crois que vous ignorez ce qu’il a fait. On vous dira : pendant dix-huit ans il a résisté à toutes les séductions, comme grâces, marques d’estime et même d’attention, de la famille d’Orléans. Il n’y a rien qui ne lui ait été offert sous ce règne. On lui offrit la pairie, il la refusa ; quelques jours avant sa réception publique à l’Académie française, quand on vint chez lui le prier de faire dans son discours l’éloge de Louis-Philippe et quêter une louange en usage jusqu’à lui, il refusa et dit que son siège était fait, qu’il n’avait rien à changer à son discours. De là vint la vendetta de quelques courtisans. Leur intrigue prit pour organe M. Mole, qui se faisait un mérite de sa complaisance pour rentrer au ministère, ce qui ne lui réussit même pas. Il ne lui en resta qu’une honte de plus. Les princes, qu’il flattait en ayant l’air de les venger contre moi, furent les premiers à traiter sa conduite avec mépris. Nous pouvons leur rendre cette justice, à présent qu’ils ne règnent pas, et Mme Adélaïde dit à un de ses parens, qui ne me l’a répété qu’il y a deux ans, à Paris : « M. de Vigny ne vient jamais aux Tuileries où nous l’invitons toujours, mais nous ne lui en voulons pas, nous savons son respect superstitieux pour la branche aînée… » C’était bien agir de part et d’autre, je crois. Qu’en pensez-vous ?

J’ai voulu vous conter cela ce soir, pour que quelqu’un de ma famille le sût bien.

Vous avez remarqué un jour que je ne parlais jamais de moi. Mes amis me le reprochent souvent ; hier encore l’un d’eux, en m’écrivant. Mais je viens de penser qu’il était permis au moins de raconter à sa famille des choses que tout le monde ne sait pas. Il faut se souvenir quelquefois que personne n’a dans sa vie une grande quantité de périodes de dix-huit ans. J’en ai sacrifié une tout entière, je n’en ai point de regret, et le ferais encore.

Voilà une page d’histoire de notre famille que vous pourrez léguer à vos héritiers, ma chère belle petite Alexandrine ; mais je mets un signet ici parce que je la trouve beaucoup trop longue,