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se pleure, il semble croire que le monde s’éteindra après lui et qu’il est le dernier homme. Il dénigre tous les écrivains de peur qu’on ne pense à lire autre chose que lui, etc., etc. Mais à part ces faiblesses toutes puériles, qui sont peut-être une maladie particulière à l’animal nommé auteur ou poète, vous serez ravie, j’en suis sûr, de certains tableaux, comme son voyage en Amérique et la cause subite de son départ ; ses misères d’émigré à l’armée de Condé et à Londres ; un sentiment timide en Angleterre quand il est professeur d’une jeune personne. Puis ses grandes colères politiques ! Tout cela passe souvent de la grâce à la grandeur. Lisez-le, cela en vaut la peine. Causez-en avec moi ; cela fera, ce me semble, que nous remplirons cet éloignement où je suis toujours de mes parens, trop dispersés, et de mes cousines, éparses dans tous les châteaux de France. On a beau avoir pour ses parens une douce affection, encore faudrait-il échanger des idées et des sentimens de temps à autre, et quoi de mieux vraiment que l’écriture pour cela ? N’est-ce pas une bonne invention ? Il me semble qu’il n’est point superflu de se connaître ?

En cette occasion, par exemple, dites-moi quel homme vous semble l’auteur de pareils Mémoires ? Pensez-vous qu’il soit probable que Mme de Beaumont l’ait aimé, comme il le prétend ? Moi qui l’ai connu, je n’y crois guère.

Voilà que je cause avec vous comme si vous étiez là. Que me répondrez-vous ? Mes arbres ne me disent rien, et sont aussi bêtes que les vôtres.

Bonjour, chère belle et bonne petite Alexandrine, je suis de mauvaise humeur de parler tout seul.


IX


Au Maine-Giraud, 15 septembre 1850.

Je voudrais bien aujourd’hui savoir de vous, ma belle amie, si les femmes de Touraine ont eu seulement une larme pour ce pauvre Balzac, leur compatriote, et si quelque marque de ce regret lui a été donnée en public par son pays natal. — En vérité, je crois que c’est le mariage qui l’a tué. Quelques jours avant de vous aller voir à Dolbeau, j’étais chez Gudin (le paysagiste merveilleux de la marine universelle), et après avoir parcouru toutes les mers sur tous les murs des salons, des corridors, et des escaliers de sa villa de Beaujon, nous étions arrivés à la terrasse orientale de ce petit palais, et nous regardions le panorama de