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mobilisation. L’on arrivera mieux, que par des chiffres, à saisir jusqu’à quel point la diminution des cadres, en proportion aussi grave, amène de perturbation, presque d’impossibilité, dans la marche du service. L’on hésitera à croire que le colonel, dont la tâche se fait déjà si lourde aux manœuvres, puisse y suffire en campagne, lorsqu’il n’aura plus l’officier du cadre complémentaire que l’usage lui adjoint ? L’on se demandera comment le chef de bataillon, privé de son adjudant-major et de son adjudant de bataillon, se tirera de la préparation de son cantonnement et se tiendra en liaison avec ses compagnies échelonnées pour le combat ? Dans quelle limite le capitaine sera-t-il maître de sa mobilisation en voyant son cadre fondre au moment d’y pourvoir ? L’on irait ainsi, prenant chaque emploi et chaque situation correspondante, trouvant partout la ressource diminuée, la tâche plus que doublée, et une inquiétude poindrait inévitable de cette disparité trop accusée entre la force et l’effort, de ce surcroît de difficultés et de doutes pesant, à ce moment si grave, d’un poids inutile, sur un avenir chargé déjà de trop d’incertitudes.

A quelque, point de vue qu’on se place, cette faiblesse d’encadrement reste préoccupante pour nos forces de première ligne. Il faut bien se rappeler que, dans leur effectif de guerre, l’élément actif ne figurera que pour un tiers, qu’il sera noyé par l’élément de réserve, quand ailleurs c’est l’inverse qui se produit. Il faut se dire encore que ces réservistes n’ont, pour la plupart, ni liens entre eux, ni avec le corps, puisque nous n’avons pas le bénéfice du recrutement régional ; pas plus de communauté d’âge que d’origine, échelonnés qu’ils sont sur d’autant plus de classes qu’il a fallu faire la part équivalente aux régimens bis. Il faut aussi ne pas perdre de vue que, si le sort de la formation mobilisée se trouve entre les mains des seuls gradés de l’active, c’est au feu surtout que son attitude dépendra de leur exemple. Les premières rencontres ne les épargneront pas plus qu’ils ne pourront se ménager. L’illusion serait donc grande de poursuivre l’accroissement de la force combattante par celui du nombre des réservistes. Il ne peut dépasser une proportion rationnelle, en harmonie avec le nombre des gradés comme aussi des soldats de l’active. C’est pourquoi, suivant que l’élément actif fléchira au-dessous de l’élément de réserve ou le surpassera, l’unité mobilisée se présentera avec une infériorité ou une supériorité de valeur, allant croissant en raison même de cet écart.