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pour l’instant précis où doit être votée la loi de finances, et d’introduire ensuite des améliorations, de proposer des créations, de retrouver des besoins oubliés, en faisant appel à des crédits supplémentaires. Ceux-ci ne devraient être admis qu’en cas d’expédition ou de réfection de l’armement. Grâce à cette déplorable facilité, bien des dépenses revêtent un caractère de fixité qu’elles perdraient aisément par la suite, si leur maintien était subordonné à l’abandon de certains projets d’un intérêt mieux démontré. Est-ce là d’ailleurs faire le procès de nos ministres de la guerre, qui n’ont jamais le bénéfice du budget qu’ils établissent, ou qui subissent celui qu’ils reçoivent en plein exercice et qu’ils n’auront pas le temps d’amender ? Qui pourrait y songer ? Condamnés à passer avant d’avoir donné une sanction à leurs idées, voués à un enfantement précipité sous peine de ne rien laisser d’eux, comment s’occuperaient-ils de l’avenir, quand le présent leur est si parcimonieusement mesuré ? L’évidence n’en subsiste pas moins, par ce temps de paix armée, que la durée d’un état militaire est subordonnée à la fixation à long terme des ressources dont le pays dispose, et à la sage prévision qui leur fait rendre tout ce qu’elles doivent produire.

Cette prévision consiste à faire la part des éventualités auxquelles le pays est exposé et répudie toutes les dépenses qui s’en écartent, afin de mieux concentrer son effort sur le but précis qu’elle s’est assigné. Ainsi, lorsque, par sa configuration comme par sa forme de gouvernement, un pays se trouve destiné à subir plutôt la guerre qu’à la provoquer, son organisation militaire a le devoir d’être façonnée aux conditions particulières, heureuses ou défavorables, suivant lesquelles le conflit le surprendra. La nation anglaise, dans son île, pourrait entretenir l’armée la plus formidable, que sa puissance offensive n’en serait jamais redoutable, sa ceinture maritime supposant à ce qu’elle l’exerçât. En revanche, ce désavantage offensif se transforme en une inappréciable sécurité défensive ; et ainsi, la protection militaire passant de terre sur mer, c’eût été un contresens pour l’Angleterre de se donner le luxe d’une armée comme la nôtre. La France, que sa situation maritime et continentale expose à la fois aux entreprises de terre et de mer, ne peut pas plus renoncer à son armée qu’à sa flotte ; et comme ces frontières terrestres sont les plus menacées, dans ses préoccupations comme dans ses sacrifices, l’armée viendra en première ligne. Sa configuration géographique autorise donc la plus vaste offensive. Mais, d’un autre côté, la forme de sa constitution[1], qui investit les Chambres du droit de déclarer la guerre,

  1. La forme républicaine n’est pas ici en cause, puisque aux États-Unis le droit de déclarer la guerre appartient au président.