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ferait point jaillir. Les Indiens connaissent mieux leur sol que les ingénieurs venus d’Europe. Ils se sont transmis à travers les âges, de famille en famille, de tribu en tribu, le secret de mines d’or et d’argent. Et jamais un traître ne le révèle. Les cas où l’un des leurs consent à desserrer les lèvres et à parler, comme dans l’histoire de Ramirez, sont extrêmement rares et ne s’expliquent que par la reconnaissance infinie qu’ils gardent des bienfaits d’un blanc. L’ingratitude n’est pas indienne. Et ces millionnaires insoucians éprouvent parfois un certain plaisir assez dédaigneux à faire l’aumône à leurs maîtres. Le reste du temps ils doivent jouir en pensant qu’ils détiennent des richesses fabuleuses, dont nul ne profite qu’eux-mêmes. Car ils en profitent et délicieusement ! Je me figure leur joie secrète, quand ils foulent, sur le versant d’une montagne, des merveilles ignorées du mineur. Comme en ces momens-là, ils se sentent bien chez eux, envers et contre tous ! Comme ils chérissent ce sol muet, cette tombe dont ils sont la vivante et nomade image ! Quelles affinités, quelles correspondances s’établissent entre leur âme et leur terre ! Elles se comprennent, se parlent, s’exhortent à la patience, se félicitent l’une l’autre de leur taciturne inviolabilité. Nulle part au monde l’homme ne peut incarner plus exactement le caractère du sol, dont il s’est détaché. La terre l’a créé à sa ressemblance, nu, âpre, farouche, et sous sa rude écorce recelant des fortunes vierges. La grande conquête à faire, et qu’on ne fera jamais, c’eût été de conquérir l’âme de cette race. On y eût trouvé la clef de toutes les mines dont l’espérance halluciné les pionniers du désert, tandis qu’aujourd’hui l’Indien se raille des compagnies minières et de leurs brillans administrateurs et de tous leurs ingénieurs perspicaces, qui passent vingt fois sur la richesse, sans que rien en avertisse leur flair. Il suit d’un œil ironique ces bons limiers, toujours dépistés et haletans de leur course stérile. Ne le plaignons pas trop : la nature lui a réservé de jolies revanches.

Il est vrai que parfois les efforts du conquérant aboutissent ; on découvre une nouvelle mine. Le bruit s’en répand à travers les villages indiens et y sème la consternation. L’Indien se sent trahi par sa terre : elle a livré aux blancs un trésor, qui n’appartenait qu’à lui. Elle a aliéné un peu de ce bien mystérieux, qu’il considérait comme inaliénable. Mais il ne tarde pas à lui pardonner, car les maladies et la fièvre de l’or s’abattent sur la troupe victorieuse, en abrègent ou en ralentissent le triomphe. Ceux que l’anémie laisse debout, les passions pestilentielles qu’exhalent les sources d’argent, l’ivresse et « la noce » se chargent de leur faire mordre la poussière ou la boue.

Et pendant qu’Espagnols, Anglais, Français ou métis se