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et celui des troupes de la première division militaire, une véritable armée dont l’état-major fut établi aux Tuileries, — d’où il veillerait à la fois sur les séditions populaires et sur les coups de tête de l’Elysée.

Changarnier[1] n’était pas sorti de l’obscurité lorsque, chef de bataillon du 2e léger, il sauva l’armée en couvrant la retraite désastreuse de Constantine. Des démêlés personnels avec le maréchal Bugeaud lui firent quitter l’Algérie où il revint avec le duc d’Aumale (1847). En février 1848, il commandait la division d’Alger. Dès qu’il eut rempli son devoir de loyauté envers les princes d’Orléans en entourant respectueusement leur départ, il écrivit au ministre : « Je n’ai pas souhaité l’avènement de la république, mais quand la France est menacée de la guerre, je sollicite un commandement sur la frontière la plus menacée. » Présent à Paris le 16 avril, il sauva le gouvernement ; en récompense il fut renvoyé en Algérie comme gouverneur général. Sa nomination de député de Paris (8 juin) le rappela en France.

Je le vis alors à son passage à Marseille. Je me trouvais aux prises avec l’insurrection de Juin commencée là quelques jours avant Paris. La garde nationale, après avoir tiré sur son général, venait de se prononcer en partie pour l’insurrection ; les troupes, insuffisantes et composées de jeunes recrues, conduites par un chef sans décision, lâchaient pied ou étaient repoussées ; je contenais avec peine le gros de la masse ouvrière, en attendant des renforts d’Aix et de Toulon. Tout à coup on annonce que le général Changarnier arrive, entre dans le port, amenant quelques troupes. Il vint à la Préfecture. Je vis un homme petit, élégant, un peu dameret, la taille serrée dans son uniforme comme dans un corset, affable, familier. Il écoute mes renseignemens. Tout à coup l’homme se transforme : il devient ferme, solennel, imposant ; d’un coup d’œil lucide il juge la situation, donne des ordres précis en quelques brèves paroles, communique aux autres la confiance qui était en lui. Ses troupes furent débarquées ; les nôtres reprirent leur moral ; quand le soir il quitta Marseille, il n’y avait plus d’insurrection.

On ne se contenta pas d’installer Changarnier à Paris ; à Lyon on maintint un important commandement militaire entre les mains de Bugeaud, le plus grand soldat du temps. C’était une réserve mobile, couvrant les derrières de l’armée de Paris contre les turbulences de la démagogie méridionale, et pouvant accourir au secours de la capitale si Changarnier était en péril.

Qu’on considère dans le maréchal Bugeaud le soldat ou le

  1. Né à Autun le 26 avril 1793.