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contenait des soies récoltées en Seine-et-Oise. Mais peu après on vit diminuer progressivement le rendement des « graines », — nom que leur ressemblance avec les grains de millet a valu aux œufs, — et celui des cocons à la filature. Etait-ce que la sériciculture ne se prête pas à une production intensive, et que, pour accroître les profits, on avait multiplié les éducations à l’excès ? Etait-ce que des croisemens de hasard, pendant de longues années, avaient dépouillé l’ancienne race nationale de ses qualités primitives ?

Impuissans contre cet affaiblissement subit et mystérieux, nos éleveurs demandent alors des graines à l’Italie, à l’Espagne, puis à la Turquie et aux provinces Danubiennes, dont ils repoussaient naguère les produits comme inférieurs. Toutes sont mauvaises, toutes sont malades et, de 1850 à 1864, l’épidémie va croissant. Le découragement s’empare des agriculteurs : au prix excessif atteint par l’once de graines, en regard de la récolte minime qu’on en peut espérer, l’opération devient ruineuse. Ils y renoncent ; et les mûriers, dont les feuilles par-là même ne trouvent plus à se vendre, les mûriers, « arbres d’or, au dire des Chinois, arbres doués de la bénédiction de Dieu », auxquels, vingt ans avant, nos compatriotes eussent volontiers prodigué des noms aussi tendres, sont jugés indignes d’occuper la terre. On les arrache en masse.

La production française, qui avait été de 2 millions de kilos, tombe à 308 000 au milieu du second Empire. Les « graineurs », commerçans improvisés à la recherche de semences saines, avaient apporté du Japon, par la voie de Sibérie, des œufs qui semblaient donner de bons résultats, mais dont l’exportation était interdite sous peine de mort. Lorsque l’empire du Soleil Levant fut ouvert en 1865, l’Europe, au lieu de 30 000 cartons de graines qu’elle en avait tirés l’année précédente, lui en acheta aussitôt cent fois plus et se crut sauvée. Hélas ! les vers japonais ne tardent pas à être frappés de dégénérescence, et la sériciculture cette fois passait pour à jamais compromise, — lorsque surgit l’immortelle découverte de Pasteur.

On apprit que l’insecte souffrait de différentes infirmités : maladies de peau ou d’estomac, celle-ci causée par une alimentation mauvaise, — et après avoir soigné les vers il fallut soigner les mûriers. Mais la plus grave de ces affections, la pébrine, résultait d’un microbe enfermé dans l’œuf, qui naissait avec le ver, grandissait en lui et le tuait. Ce fut donc par la sélection des semences que s’opéra la régénération de la race. Une industrie nouvelle, le grainage, eut pour objet de livrer des œufs