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surpris. L’empereur est jeune, le prince de Bismarck est vieux. La situation actuelle prendra fin inévitablement un jour qui ne saurait être lointain. Ce jour-là et pour l’avenir, l’empereur veut pouvoir accréditer en Allemagne la fiction de sa réconciliation avec le chancelier auquel elle doit son unité. Quoi que fasse celui-ci, il est sacré. Tout lui est permis. Il n’a pas à redouter d’entendre jamais sur sa tête les grondemens du tonnerre dont il a lui-même foudroyé le comte d’Arnim. Les services qu’il a rendus sont pour lui une sauvegarde centre laquelle rien ne saurait prévaloir. Il faut avouer qu’il y a dans cette attitude de Guillaume II, malgré l’orage intérieur qui peut-être agite son âme, quelque chose de digne dans la forme, et dans le fond de très habile. M. de Bismarck n’a peut-être pas grand mérite à ne rien craindre et à tout braver, parce qu’il sait bien que nul n’oserait s’exposera l’immense scandale que produirait à travers l’histoire la moindre atteinte portée à son intangibilité, non seulement matérielle, mais morale. Les représentai actuels du gouvernement impérial se sont bornés à maintenir la règle qu’un traité secret devait rester secret : d’ailleurs pas une plainte, pas une récrimination contre celui qui y a si hardiment manqué.

Ils l’ont observée pour leur propre compte, et peut-être est-il permis de dire qu’à leur tour n’y ont-ils pas eu grand mérite, car M. de Bismarck avait déjà tant parlé qu’il restait plutôt à commenter ses révélations qu’à les compléter. Tout ce qu’a dit M. de Bismarck est confirmé, sauf sur un point qui n’est pas, à la vérité, des moins importans. Nous écrivions, il y a quinze jours, d’après un article des Nouvelles de Hambourg, que l’Autriche et l’Italie avaient connu le traité particulier conclu, en 1884, entre l’Allemagne et la Russie. Il semble bien, d’après le discours de M. de Marschall, que cette affirmation était inexacte. Pourtant elle était formelle. L’Autriche et l’Italie, disait le journal de M. de Bismarck, « n’ignoraient pas la garantie supplémentaire que nous avions prise du côté de la Russie, et il est difficile de croire qu’elles en étaient mécontentes. C’est avec satisfaction, au contraire, qu’on a vu l’Allemagne mettre à profit en maintes occasions les bons rapports qu’elle avait avec Saint-Pétersbourg pour éviter des désaccords entre les deux empires voisins ou pour y mettre fin. Si les gouvernemens intéressés avaient eu à ce sujet une conception différente, ils auraient saisi quelque occasion, dès le règne de Guillaume Ier, de faire des observations à l’Allemagne sur ses rapports avec la Russie. Or jamais cela n’est arrivé, bien qu’ils sussent que le maintien des rapports politiques existant entre Berlin et la Russie subsistât constamment en dépit de toutes mesures militaires et de tous règlemens concernant la Bourse, et bien que le traité même contre lequel on s’élève aujourd’hui leur fût connu. » Quoi de plus explicite que cette dernière assertion ? Nous avons dû, jusqu’à preuve du contraire, la regarder comme véridique.