Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/720

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses amis attachent beaucoup trop de prix à la forme dans laquelle ils auraient voulu que la révélation de l’entente leur fût faite. Ils auraient préféré des explications parlementaires données du haut de la tribune : sans parler du gouvernement français, le gouvernement russe a préféré une manifestation différente, mais on ne saurait dire que celle qu’il a choisie n’ait pas été suffisamment expressive. Le voyage de l’empereur en France avait déjà par lui-même un sens politique auquel personne ne pouvait se tromper ; les circonstances qui s’y sont mêlées et le langage qui y a été tenu ont été encore plus significatifs ; et lorsque le toast de Châlons, venant confirmer et accentuer tous les autres, a parlé de la confraternité d’armes qui existe entre les deux armées, il était sans doute impossible de dire plus nettement qu’il ne s’agissait pas entre la France et la Russie de sentimens platoniques. Sur le caractère de l’entente, il ne saurait donc y avoir aucune incertitude. On peut discuter sur la valeur du fait, mais non pas sur sa réalité. M. Millerand s’est réservé le premier point ; M. Jaurès, en ne traitant que le second, s’est condamné à la déclama-lion. Quant à savoir s’il est toujours prudent de donner une large publicité aux combinaisons diplomatiques et aux engagemens qui en résultent, ce qui vient de se passer dans un pays voisin nous inspire à cet égard des doutes qui s’ajoutent à ceux que nous avions déjà. En tout cas notre constitution, après avoir confié au Président de la République le soin de négocier et de ratifier les traités, lui donne le droit de ne les communiquer aux Chambres que lorsque l’intérêt du pays le comporte : en prenant cette précaution, elle a été prévoyante et sage.


Le pays voisin dont nous parlons est l’Allemagne. La récente réunion du Reichstag devait faire retentir dans l’assemblée l’écho encore tout vibrant des révélations du prince de Bismarck. On s’attendait à ce qu’une question serait posée au gouvernement ; elle l’a été en effet ; le chancelier de l’empire d’abord, puis le ministre des affaires étrangères y ont répondu. Le premier a été très bref, mais le second est entré dans des explications assez étendues, et le sentiment général est qu’il les a présentées avec beaucoup de tact. M. le baron de Marschall s’est révélé diplomate parlementaire, deux qualités qui ne marchent pas toujours ensemble. On a beaucoup remarqué les ménagemens infinis que le gouvernement impérial, soit dans le Moniteur de l’Empire, soit sur les bancs du Reichstag, a gardés envers le prince de Bismarck. Le bruit avait couru que l’irritation de Guillaume II avait été très vive en présence des indiscrétions des Nouvelles de Hambourg. Si cette irritation s’est produite, l’empereur en est resté le maître ; rien n’en a transpiré au dehors. On avait parlé de projets comminatoires dont aucun ne s’est réalisé. Nous n’en sommes pas