Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roi, encore que ce Darius ait le premier montré à Xerxès le mauvais chemin. C’est Darius qui tire la morale du drame, car, mort à présent, il voit clair. « Les Perses n’ont pas craint, dans la Grèce envahie, de dépouiller les dieux, d’incendier leurs temples et d’abattre leurs statues. Pour avoir ainsi méchamment agi, certes l’expiation a été dure ; mais ce n’est pas fini. L’abîme du malheur n’est point desséché sous leurs poids, et la source en jaillit encore. » Et Darius prédit Platée. « Là, si épaisse sera la boue sanglante, sous la lance dorienne, que, jusqu’à la troisième génération, les cadavres entassés diront silencieusement aux hommes : Mortels, il ne faut pas que vos pensées s’élèvent au-dessus de la condition mortelle. Quand on sème l’insolence : ce qui pousse, c’est l’épi de la malédiction, et ce qu’on moissonne, c’est la douleur. — En voyant à telles entreprises tel châtiment, souvenez-vous d’Athènes, souvenez-vous de l’Hellade ; que nul, désormais, ne méprise sa fortune présente, et n’aille, par sa convoitise même, ruiner sa propre opulence. Jupiter, inflexible vengeur, ne laisse jamais impunis les desseins d’un orgueil effréné. »

Avis réversibles sur les Athéniens, et qui élèvent et purifient l’hymne de triomphe, lui ôtent toute âpreté et toute amertume. Noble façon, et humaine, de porter la victoire.

Et il y a plus encore. Xerxès n’est pas seulement, aux yeux des Athéniens, l’envahisseur de leur patrie : il est, pour ces libres citoyens et pour ces « honnêtes gens » d’un sens si fin, une sorte de « monstre », au sens propre du mot, par l’extravagance de ses désirs et de ses caprices, par son ignorance de la réalité et ce vertige qui, sur le faîte où ils vivent isolés, s’empare des tout-puissans : et Eschyle, à grands traits et presque aussi bien qu’Hérodote, nous a dessiné la psychologie du despote oriental, orgueil dément, faiblesse enfantine et retours de mélancolie profonde. Mais le poète n’a pas mis à cette peinture d’acharnement ni de haine ; et, lorsque le grand roi revient dans son palais, seul avec son arc, rabaissé subitement à la condition humaine, et plus misérable d’être tombé de si haut, — comme il avait sincèrement pleuré avec Atossa, le poète pleure sincèrement avec Xerxès. Il lui prête de bons sentimens, un désespoir tourné en douceur et en humilité : « Hélas ! hélas ! lui fait-il dire, que j’ai été fatal aux miens ! j’étais donc né pour la désolation de cette terre de mes pères !… Ah ! oui, criez ! criez ! et demandez-moi compte de tout, » et encore : « Tu renouvelles mes amertumes à l’endroit de mes braves compagnons… Ils s’en sont allés, ces chefs d’armée, ils s’en sont allés sans funèbres honneurs… » Et je sais bien que ces plaintes sonnaient aux oreilles des Athéniens comme l’écho de leur gloire, amplifiée par la distance : mais elles se prolongent, ces plaintes, en un tel lamento, en un si douloureux et si vaste miserere, que les spectateurs, en l’entendant, devaient finir par ne plus penser