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il convient d’insister : on continue d’exposer chaque année dans les concours agricoles et notamment à Paris, des spécimens de racines monstrueuses auxquelles les jurys inattentifs décernent mentions et récompenses. Qu’un désœuvré, ignorant des questions agricoles, s’arrête devant ces spécimens monstrueux et dise d’une betterave qu’elle est belle, tout simplement parce qu’elle est grosse, on le conçoit ; mais on ne comprend pas que les agronomes instruits qui jugent les produits ne réagissent pas vigoureusement et ne considèrent pas comme une mauvaise note l’introduction, dans une exposition, de ces betteraves détestables.

Je me suis attaché pendant plusieurs années à l’étude des diverses variétés fourragères, pour savoir si, parmi elles, il s’en trouverait une ou plusieurs capables de fournir non seulement un liant rendement à l’hectare, mais en outre un poids notable de matières utilisables. On conçoit que cette recherche comprenne deux parties. Après avoir cultivé les diverses variétés dans des conditions semblables et pesé la récolte, il fallait, au laboratoire, les soumettre à l’analyse et déterminer non seulement le taux d’humidité, par suite celui de la matière sèche, mais peser ensuite séparément chacune des substances qui la constituent : le sucre qui en forme une partie importante, la matière azotée qui est l’élément essentiel de la ration ; il fallait enfin déterminer la proportion de salpêtre que renferment toujours les betteraves, aussi bien dans les feuilles que dans les racines, et cette détermination présente un double intérêt. Tout d’abord, il faut savoir qu’à dose un peu forte, les nitrates sont vénéneux. Un de mes confrères de la Société nationale d’Agriculture m’a rapporté qu’il avait perdu plusieurs vaches qui s’étaient abreuvées dans un baquet où l’on avait lavé des sacs ayant contenu du nitrate de soude. Jamais les racines de betteraves ne renferment assez de salpêtre pour déterminer la mort des animaux[1], mais si la proportion de nitrates ingérés chaque jour est notable, elle peut indisposer l’animal, retarder sa préparation pour la boucherie ou diminuer sa lactation. En outre, le nitrate contenu dans les racines, quand bien même il traverserait l’organisme animal

  1. Il n’en est pas de même pour d’autres plantes ; les tiges du sorgho renferment quelquefois d’énormes proportions de salpêtre. Il y a une quarantaine d’années, cette plante fut préconisée comme aliment pour les animaux domestiques et fut très souvent consommée sans inconvéniens, mais dans quelques cas, au contraire, provoqua des accidens mortels ; les symptômes de la maladie ont été si analogues à ceux que provoque le nitrate de potasse, qu’il est bien probable que les chevaux qui sont morts ont été empoisonnes par la dose très forte de salpêtre que renfermaient les sorghos consommés.