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au jour le jour. Stoddard l’avait rencontré sur le bateau qui, après sept années d’absence, le ramenait de Californie dans son île bien-aimée.

« Un roi de conte de fées, qui se fait tout à tous, également capable de tenir tête à de joyeux compagnons et de garder dans la salle du trône la majesté voulue. Kalakaua avait passé par beaucoup d’expériences et dès sa jeunesse s’était essayé à tout, même au journalisme en langue hawaïenne. Il lui restait la grâce languide, le fatalisme consolateur, les superstitions heureuses de sa race ; cela était bien dans son sang, et quarante voyages autour du monde n’auraient pas pu l’en dépouiller ; seulement, il le montrait moins que ne le fait la majorité de son peuple, ayant mieux appris à déguiser sa vraie nature, capable, par exemple, de dire un jour à Rochefort qu’il était le seul républicain de son royaume, et une autre fois, à Stoddard, que ce qui était avant tout nécessaire aux États-Unis, c’était un empereur.

L’une des plus jolies, parmi les lettres écrites des basses latitudes, est intitulée : le Drame au pays des rêves. L’auteur adore le théâtre avec tout ce qui s’y rattache, à la façon de George Sand. Or, des nombreux théâtres qu’il a connus, celui de Honolulu est le plus théâtral, parce qu’il est le moins réel. Son directeur se nommait M. Protée (Mr Protcus). Epave de mille aventures, il semble avoir été digne de ce pseudonyme par ses métamorphoses ; la dernière fit de lui un lépreux, ou réputé tel, et il mourut à l’hôpital. Mais alors il était botaniste du gouvernement et professeur en diverses branches, tant sacrées que profanes. Quant aux acteurs, ils avaient tous joué dans la vie des rôles plus extraordinaires que ceux qui leur étaient confiés sur les planches. Pauvres pierres qui roulent, parties de tous les coins de l’Amérique et de l’Europe, pour échouer devant un parterre de Canaques ! Il est vrai que les loges sont remplies d’uniformes chamarrés de tous les pays, de toilettes du soir portées par des dames et des cheffesses de toute couleur. Un tonnerre d’applaudissemens accueille la version abrégée de Shakspeare qui montre Juliette penchée vers Roméo du haut d’un balcon entouré de palmes naturelles. On a pratiqué tant d’ouvertures pour cause de chaleur que les papillons, de grands sphinx aux yeux de rubis et aux ailes tachetées de gouttes de sang, viennent de tous côtés se brûler à la rampe, à moins qu’il ne faille ouvrir les parapluies si une averse s’avise de tomber. Dehors, les marchandes de fruits, les indigènes couchés sur l’herbe, font un écho sympathique aux bravos des spectateurs.

Que de tableaux étranges, combien d’étonnantes figures doivent passer et repasser dans la retraite paisible où Charles