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irrésistiblement pour dieux l’amour et la beauté, combien le catholicisme est artiste au contraire, quoi qu’on en puisse dire. À en juger par l’effet que le protestantisme produisit sur Stoddard, il ne doit que médiocrement améliorer d’autres primitifs.

La peur le domina dès son enfance, la peur du mal qu’il n’avait pas encore commis, et de son châtiment. La nuit, quand les lumières étaient éteintes, il éprouvait des terreurs sans nom, car, songeait-il avec épouvante, nous sommes tous pécheurs.

En face de la maison de ses parens, il y avait une église où tous les matins entraient de nombreux fidèles et d’où partait de belle musique. Il s’y glissa un jour sans permission. Pour la première fois il vit des cierges, des tableaux, des statues, une foule à genoux ; mais, quand la procession des prêtres en habits sacerdotaux, sortant de la sacristie, s’approcha de l’autel, il prit la fuite épouvanté, car il avait rencontré ces costumes sur les images du terrible livre qu’on lui donnait à lire le dimanche et dont les récits de supplices avaient ajouté pour lui tant d’horreur à l’horreur quotidienne des ténèbres. C’était une histoire protestante de l’Inquisition.

Les longs sermons de sa propre église ne lui plaisaient guère cependant, et la Bible qu’il lisait sur la recommandation expresse de sa mère jetait son pauvre esprit d’enfant dans une confusion indicible. On le confia quelque temps à son grand-père, un propriétaire rural de la Nouvelle-Angleterre qui habitait non loin d’une école en renom où il commença ses études. Ce grand-père était l’honnête homme par excellence, mais le sang des puritains de Plymouth coulait dans ses veines. Quoiqu’il fût incapable de faire en ce monde aucun tort à personne, il envoyait délibérément en enfer tous ceux dont la foi n’était pas sienne. Son petit-fils fut conduit par lui aux meetings du soir d’un évangéliste qui adjurait tout le voisinage, par inspiration directe d’en haut, d’avoir à changer de cœur. Il y avait sous la chaire un banc qu’on appelait « le banc d’anxiété ». Ceux qui se reconnaissaient pécheurs allaient s’y asseoir et devenaient l’objet de prières à haute voix que le petit Charles trouvait très humiliantes. Un jour, ces mots retentirent à son oreille : « Enfant, ne veux-tu pas être sauvé ? Ne veux-tu pas être chrétien ? » Et on le traîna de force sur le banc où d’innombrables voix lui criaient : « Ne veux-tu pas être sauvé ? Voudrais-tu mourir en cet instant, tout de suite, et brûler à jamais ? » Il fallut l’emporter presque évanoui, et il lui resta de cette expérience de sanctification un commencement de maladie nerveuse. Il est vrai qu’un peu plus tard il eut tout le temps de se remettre chez son aïeul paternel qui était universaliste, c’est-à-dire persuadé que le salut sera octroyé à l’humanité tout