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mains sur la tête toute-puissante ; il offre le sceptre autour duquel la dextre se ferme, il offre le globe dont la senestre reçoit le poids.

À la proclamation du titre impérial, les chantres répondent par l’hymne Longues années. Puis les assistans, debout, en silence, écoutent Nicolas II qui récite à genoux la prière de l’Empereur. « Dieu, Notre Père, Seigneur de toute grâce, tu m’as choisi pour être le tsar et le juge de tes hommes ; que repose sur moi ta sagesse suprême… » Il a fini, il se lève ; tous maintenant s’agenouillent autour de lui, l’Impératrice régnante à sa droite, l’Impératrice douairière devant le trône écarté qu’elle occupe, le trône ancien du tsar Alexis Mikaïlovilch ; les métropolites au pied de l’autel, les chevaliers-gardes sur les degrés qui descendent de l’estrade au chœur… C’est maintenant la prière pour l’Empereur.

Ces touchans épisodes ont avancé la cérémonie vers son terme. Déjà des sons de cloche, alternés de coups de canon, signalent l’instant de l’onction ; nous évacuons les pistes où demeurent seuls, isolés, des cosaques du Convoi, portant des étiquettes sur la poitrine ; ils marquent les points où s’arrêteront les parties du cortège qui ne doivent pas pénétrer dans le palais.

On apporte le dais de l’impératrice Marie Féodorovna ; les deux grenadiers debout, à droite et à gauche de la porte, se signent, annonçant ainsi la fin de l’office, et rajustent leurs bonnets à poil sur leurs fronts ruisselans de sueur. Tandis que toute la famille impériale, accompagnant la mère du souverain, passe et gagne le Perron Rouge, une rumeur signale au dehors la marche de l’Empereur. Une effervescence, un délire, courent sur l’assemblée à l’instant où la lente machine empanachée, que trente généraux érigent au-dessus de sa tête, reparaît devant l’Archangelsky sobor. Il s’arrête à la porte de cette église : un rite aujourd’hui abandonné voulait qu’on répandît là sur sa personne une corbeille pleine de pièces d’argent et d’or. Puis la procession se dirige vers le Blagovéchensky sobor ; le grand maréchal comte Pahlen s’avance le premier ; derrière lui, l’archi-grand maître prince Dolgorouki, l’un et l’autre portant de longs cierges dont le vent incline les flammes ; puis c’est le métropolite qui élève la croix ; et tout à coup, pour un court moment, l’Empereur est visible dans le vivant encadrement des officiers qui l’entourent, de l’assistance exaltée et penchée vers lui. Saisissant tableau que celui de tant de visages divers exprimant le respect, l’amour, la crainte, la fatigue, la stupeur, tandis que passe le maître unique chargé de ses attributs, changé en un personnage impassible et fatal, en la statue du pouvoir !