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quelques semaines, l’élection de M. Mac Kinley à la Présidence était prévue, elle était certaine, elle était escomptée d’avance en prenant le mot dans son meilleur sens. Elle ne pouvait d’ailleurs que relever la confiance du monde dans le bon sens des États-Unis. Le succès de M. Bryan aurait eu une tout autre signification. Il n’aurait pas seulement alarmé les intérêts matériels, c’est-à-dire inspiré des doutes sur la probité monétaire de la grande république américaine, mais encore porté un trouble profond dans les esprits. M. Bryan n’était à l’origine que le candidat de l’argent, dont il demandait la frappe libre et illimitée ; mais en peu de jours le caractère complet du système dont il s’était fait le champion s’était manifesté à tous les yeux. Le droit de payer ses dettes avec une monnaie dépréciée, c’est-à-dire de ne pas les payer ou de ne le faire que partiellement, devait plaire aux socialistes et aux révolutionnaires de toutes les nuances et de toutes les écoles : tous en effet se sont groupés autour du candidat de la Convention de Chicago. Peut-être M. Bryan aurait-il essayé, s’il avait été élu, d’échapper aux conséquences logiques de son principe, mais le parti prodigieusement mêlé qui l’avait pris pour chef l’aurait bien forcé à le suivre. Son élection aurait voulu dire banqueroute et révolution. Quels que soient les inconvéniens que peut présenter, au point de vue douanier, le succès de M. Mac Kinley, ils ne sont pas comparables à ceux qu’aurait entraînés celui de M. Bryan. Il y a même lieu de remarquer que, la question douanière (n’ayant joué aucun rôle dans la lutte électorale, M. Mac Kinley reste libre. Ce n’est pas son système économique qui a triomphé, puisqu’il n’a même pas été en cause, mais le système monétaire de M. Bryan qui a été battu, avec les conséquences sociales qui n’auraient pas manqué d’en découler. M. Mac Kinley défendait ce qu’on a heureusement appelé la saine monnaie, et M. Bryan ce qu’on ne peut appeler que la fausse monnaie. La falsification des monnaies n’est pas un fait nouveau dans l’histoire. On en a fait l’expérience, et cette expérience a ruiné tous ceux qui l’ont tentée. Les Américains ont reculé en masse devant un danger aussi menaçant.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetiere.