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autres, — qu’aucune d’elles ne pourrait se livrer à une action isolée sans s’exposer à provoquer des conflits dont l’humanité aurait encore plus à souffrir que des massacres d’Arménie. Toutes ont compris que leur force était dans leur union, et qu’elle ne pourrait s’exercer sans danger que si cette union était soigneusement maintenue. Une telle idée, chez nous, n’est pas nouvelle. Les affaires d’Orient ont traversé deux périodes. Pendant la première, la France s’est appliquée à marcher d’accord avec la Russie et l’Angleterre, et pendant la seconde avec les six grandes puissances sans exception. Il ne lui est jamais venu à l’esprit de jouer un rôle personnel, encore moins de poursuivre un intérêt particulier, et grâce à cette attitude elle a fini par inspirer confiance à tout le monde. Il n’en a pas été toujours de même de l’Angleterre, ceci soit dit sans aucune intention de critique à l’égard de ce grand pays. Lord Salisbury parlait hier encore du « majestueux isolement » qui permettait à la Grande-Bretagne d’envisager la question orientale à un point de vue purement philanthropique ; mais il ne prenait pas le mot dans le même sens que le faisait naguère M. Goschen. Il entendait par-là que l’Angleterre, séparée du continent par le légendaire ruban d’argent qui assure sa sécurité, voit supprimés pour elle beaucoup d’autres problèmes qui s’imposent aux préoccupations de nations moins favorisés. Que l’Angleterre soit plus libre que toute autre de s’abandonner à sa générosité naturelle, et même de s’y laisser entraîner jusqu’à commettre des fautes qu’elle est sûre de ne pas payer trop cher, nous ne le contesterons pas. Il en résulte que les mouvemens d’opinion y ont quelque chose d’impétueux et de violent que l’on ne retrouve pas ailleurs au même degré. En cela nous pouvons l’envier, sans aller jusqu’à l’imiter. Les sentimens qui, à propos des massacres d’Arménie, ont fait explosion de l’autre côté du détroit sont aussi les nôtres ; mais nous les avons traduits autrement. Aussi, depuis le premier jour jusqu’au dernier, avons-nous pu tenir le même langage, et nous avons eu finalement le plaisir d’entendre tout le monde, et l’Angleterre elle-même, en tenir un à peu près analogue. La Chambre des députés a approuvé la réponse de M. Hanotaux à MM. Denys Cochin et de Mun. M. le ministre des affaires étrangères, rappelant avec à-propos la solution heureuse de la question de Crète, a recherché par quels procédés et conformément à quels principes elle avait été obtenue, et il les a résumés en quelques mots : comme méthode, l’action du concert européen ; comme but, l’intégrité de l’empire ottoman ; comme moyen d’atteindre ce but, des réformes devenues indispensables, conseillées et, s’il le faut, imposées au sultan. Il a fait entendre à ce dernier, avec la solennité que prennent des déclarations mûrement réfléchies lorsqu’elles sont portées à la tribune et consacrées par le parlement, des paroles à la fois amicales et sévères. Le sultan ne peut pas se tromper sur l’importance des conseils qu’on lui donne, lorsqu’on ajoute qu’à