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ayant l’air de le livrer à ses risques et périls. Heureusement, M. Cambon était homme à se tirer d’affaire à lui tout seul. Il a la bonne fortune d’avoir, avec des idées très nettes, un talent de parole remarquable ; mais que serait-il arrivé s’il n’avait pas possédé à un degré éminent ces qualités, dont la dernière, en somme, ne doit pas être indispensable à un fonctionnaire ? Il aurait été sacrifié depuis longtemps, et s’il ne l’avait pas été depuis longtemps, il l’aurait été l’autre jour sans le moindre doute. Le gouvernement semblait assister aux exercices que faisait M. Cambon sur la corde raide ; il avait l’air de se demander avec une philosophique indifférence si tout cela finirait bien ou mal, prêt à se déterminer lui-même d’après le résultat d’une épreuve à laquelle il restait étranger. C’était là, tout le monde l’a senti, un déplacement de responsabilités qui n’était rien moins que correct, et la vérité de la situation est apparue à un moment avec une telle évidence que M. Cambon a déclaré couvrir son ministre, se porter personnellement fort devant le parlement de ses actes et de ses doctrines, en ajoutant qu’il ne resterait pas gouverneur général si la Chambre le désapprouvait. La Chambre l’a approuvé, oh ! très largement ; elle l’a même fait à la presque unanimité de ses membres ; on n’avait pas encore vu une unanimité pareille. Nous approuvons sans réserve l’ordre du jour par lequel la Chambre a invité le gouvernement à supprimer les rattache-mens sans le moindre retard, et, après avoir replacé le gouverneur général dans la situation qu’il avait autrefois, de créer auprès de lui un contrôle efficace. Ce vote est excellent ; il est digne de tous les éloges ; mais à qui en revient le mérite ? On voudrait pouvoir en féliciter le gouvernement tout autant que M. Cambon.

Il y a eu aussi, à la Chambre des députés, une interpellation sur la politique étrangère : la manière dont elle a été développée et dont elle s’est terminée a été encore plus satisfaisante. Ses auteurs n’avaient aucune mauvaise intention contre le ministère ; ils voulaient seulement lui donner l’occasion de s’expliquer sur les affaires d’Arménie et sur la situation de l’Orient. Un débat à ce sujet était nécessaire, et on ne peut que remercier M. Denys Cochin et M. de Mun de la prudence et de la mesure qu’ils y ont apportées. Les odieux massacres d’Arménie ont produit en France, comme dans le reste de l’Europe, une impression très profonde. Si on en a parlé chez nous avec plus de retenue que dans d’autres pays, ce n’est pas que l’horreur nous en ait moins vivement frappés, mais parce que nous avons appris à mesurer l’expression de nos sentimens aux moyens que nous avions de leur donner une sanction effective, et aussi parce que, parmi tant d’intérêts qui nous sollicitent, nous ne voulons en négliger aucun. La paix de l’Occident est à nos yeux le premier de tous. Toutes les puissances ont compris, — l’Angleterre a fini par le comprendre comme les