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vers le crime. En dénonçant cette infamie, en dévoilant cet égoïsme, M. Coppée donnera une leçon à la jeunesse.

Comprenons bien la portée de cette leçon et prenons garde de dénaturer la pensée de l’auteur. Les partisans d’une morale surannée conseillent d’ordinaire aux jeunes gens de respecter leur jeunesse. Ils leur recommandent d’éviter les amours de rencontre. Offrir à une amiable enfant une friture et son cœur, cela d’abord ne paraît pas bien coupable, mais peut avoir par la suite de graves conséquences. M. Coppée n’est pas de cet avis. : il considère qu’un étudiant qui n’aurait pas de petite amie serait un monstre dans la nature. Tant que le jeune Lescuyer, fraîchement débarqué de sa province et encore tout imbu de préjugés, reste sage et ne suit, en bon sujet, que les cours de l’École de droit, M. Coppée a pour lui des paroles sévères. Il lui devient plus sympathique à mesure qu’il se déniaise. Il lui rend toute son estime le soir de la rencontre avec Perrinette. Ce n’est pas à l’Opéra-Comique qu’a lieu cette première entrevue, ainsi que pour les mariages arrangés par les familles. La gentille fleuriste s’est rendue au café en compagnie de la grande Clarisse. Chrétien offre des rafraîchissemens aux dames, et il constate en causant que Perrinette, qui n’est plus une débutante, ayant eu déjà sa demi-douzaine d’amans, « a conservé dans sa folle existence un peu de gentille pudeur ». Il ramène sa conquête, et la promenade des amoureux sous le regard indulgent des étoiles est un de ces morceaux comme sait les écrire le poète des idylles parisiennes. Désormais M. Coppée n’a plus qu’une crainte, c’est que le père Lescuyer, survenant à l’improviste, ne fronce ses terribles sourcils devant les jupons épars de Perrinette et n’abuse de son autorité pour troubler le gentil ménage. Ces deux années passèrent comme un beau rêve. Hélas, quelle est la force des préjugés ! puisque l’amant de Perrinette ne sut pas comprendre où étaient à la fois le bonheur et le devoir.

Pourtant il n’avait qu’à regarder autour de lui et à profiter de l’exemple que la destinée prévoyante avait disposé sous ses yeux. Car afin de ne laisser aucun doute dans notre esprit et pour nous faire nettement comprendre ce qui est, d’après lui, le droit chemin, M. Coppée a pris soin de tracer pour notre édification le tableau de l’union idéale : c’est celle du sculpteur Donadieu avec cette bonne Héloïse. Lui non plus, Donadieu n’a pas été le premier amant d’Héloïse, car il est homme d’honneur et il se révolte à la seule idée que sa maîtresse pourrait n’avoir pas appartenu à d’autres. Mais ces deux beaux et libres êtres ont mis en commun leur absence de préjugés, leur façon large et généreuse de comprendre la vie. L’histoire du ménage Donadieu se déroule à travers tout le livre à la manière des récits de la morale en action. Ou encore on songe aux légendes dont s’accompagnent les images d’Épinal : « C’est à la brasserie qu’Héloïse rencontra son