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minutieux qui faisait de lui l’égal des bons peintres flamands. A l’exemple de ces maîtres, il comprenait que la nature même des sujets imposait à ses tableaux l’exiguïté des dimensions, comme une loi du genre. Le tact le plus sûr l’avertissait du moment précis où la réalité côtoyait la trivialité, où l’émotion courait risque de dégénérer, et une ironie à peine saisissable dénotait l’esprit qui se fait volontiers l’interprète du sentiment, mais ne consent pas à en être la dupe. La limite est presque imperceptible, et on admire ce qu’il a fallu à M. Coppée de délicatesse et de goût pour ne pas la dépasser. Il s’arrêtait juste à temps. Il se retenait.

Dans sa nouvelle manière, il ne se retient plus. Il a trouvé chez ses nombreux lecteurs du Journal un public avec lequel il est en complet accord et pour lequel, tout à fait à son aise, il vibre depuis tantôt quatre ans. Ce public n’est peut-être pas très raffiné, mais, ce qui vaut mieux, c’est un public de braves cœurs, étant pareillement celui de Mme Séverine. Les gens du monde, les snobs, les psychologues et les wagnériens peuvent aller porter ailleurs le tribut de leurs hommages sujets à caution. Ce que les lecteurs de M. Coppée apprécient dans ses savoureuses chroniques, c’est une bonhomie qui n’est pas suspecte, une franchise et une liberté d’allures qui se traduisent par la cordialité du style, et c’est, par contraste avec l’air guindé des pince-sans-rire et les subtilités des fignoleurs, ce qu’on pourrait appeler : la littérature du cœur sur la main. La loi de la division du travail qui s’impose même au travail intellectuel force les écrivains à se spécialiser dans un genre. D’autres tiennent de l’ironie, et il faut les plaindre. D’autres tiennent du pessimisme ou de la gaieté, suivant que l’article est demandé. M. Coppée est plutôt un spécialiste de la sensibilité. Une douleur qui veut être consolée s’adresse à lui, sans craindre de se tromper. Une mère en deuil lui écrit : « Faites un petit article pour une mère qui a perdu son enfant. » Et il le fait. A vrai dire nous avons quelque peine à comprendre cette affliction qui exige d’être étalée dans les colonnes d’un journal, et cet appel à la compassion des badauds nous choque un peu. Mais l’important est que la peine soit soulagée ; la part est bonne et enviable de ceux qui savent les paroles qui apaisent. Toutes les souffrances trouvent le cœur de M. Coppée prêt à s’ouvrir pour elles.

Les opinions elles-mêmes, chez M. Coppée, passent par le chemin du cœur et y prennent un accent particulier. Chaleureux dans l’expression de ses convictions, il ne se contente pas d’être patriote, ce qui par bonheur n’est pas rare en France ; il est chauvin sans vergogne. Il a, cela va sans dire, un culte pour Napoléon dont il parle tout à fait en vieux militaire ; s’il avait jadis, l’arme au bras, défilé sur le front de la Grande Armée, il ne pousserait pas plus loin la dévotion pour celui qu’il appelle avec une familiarité respectueuse : « Mon Empereur. »