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mais il y a ma mère, et la vieille ne sera pas commode. — Bah ! tout s’arrangera. — Peut-être ; en attendant, venez le soir chez nous et courtisez-moi. » J’y allai pendant une huitaine : « Et la vieille ? demandai-je. — Elle voit de quoi nous retournons et m’a donné une danse. » Devant moi, la mère ne bronchait pas. Quand j’apportais une bouteille, elle ne refusait pas d’y goûter, mais sitôt que je montrais les talons, la fille était tancée. Un jour, cependant, la petite me dit : « C’est fait, la mère a consenti. » De ce jour-là nous pûmes nous embrasser librement. Dès que j’arrivais, la vieille quittait la place. Je louai une maison et je fixai la date de la pendaison de la crémaillère. J’invitai plusieurs amis, et juste au moment de signer le contrat, l’influenza se déclare, et me voilà regagnant ma chambre de célibataire.

— Que devient la mère dans votre combinaison ?

— C’est elle qui nous fait la cuisine.

— Ces exemples sont-ils fréquens ?

— Journaliers. Seulement les choses ne se passent pas toujours avec la même innocence. On trouve quelquefois des parens plus rébarbatifs, et il faut employer les grands moyens.

— Lesquels ?

— On les enivre, et, le lendemain matin, ils s’inclinent devant le fait accompli.

Et mon jeune compatriote s’écria dans un subit enthousiasme :

— Tenez, ce pays-là, ce sale pays-là, c’est encore un bon pays pour la bagatelle !

« Ils s’inclinent devant le fait accompli », cette phrase, dont tant d’anecdotes et de confidences me confirmaient la justesse, éclaire l’état d’âme de tout ce peuple et son irréductible fatalisme. Elle y explique aussi la rareté des drames passionnels. Les femmes semblent nées avec le sentiment d’une déchéance nécessaire. Beaucoup s’abandonnent sans lutte au premier qui les tente. Les autres résistent tant qu’elles peuvent je ne dirai pas aux séductions, mais aux grossières entreprises. Elles se dérobent, essayent de se garer des pièges de bêtes qui leur sont tendus. Mais une fois tombées dans la trappe, elles ne se débattent plus, subissent leur maître sans protestation, le suivent ou le voient s’éloigner, sans qu’une menace, un reproche même monte à leurs lèvres. Pourquoi récrimineraient-elles ? Elles savent bion que de toute éternité elles devaient servir d’amusement à quelqu’un qui passerait. Cette indifférence d’après renforce, non seulement chez les indigènes, mais encore chez les étrangers, sûrs de l’impunité, les instincts de brutalité primitive, dont les lois sociales enrayent le développement. De même que la femme redevient l’esclave